Sortie : Le pouvoir des mots. Clin d'oeil aux nouvelles éditées ultérieurement... Entre deux eaux (premier volume)
A l'occasion de la prochaine sortie du nouveau recueil : Le pouvoir des mots piloté par Denise BIONDO avec vingt auteurs des concours dont six de moins de dix-huit ans, voici un texte issu de notre premier recueil de ce genre : Entre deux eaux.
Pour nos lecteurs du blog, nous allons ouvrir avec lui une page aux coups de coeur du président, parmi les nouvelles publiées ou lues dans le cadre de Provence-poésie éditions.
La rubrique débute ici avec une nouvelle de Joëlle BEHEZ, également partenaire de Frank ZORRA et de Geneviève CASABURI dans le livre : Les fantômes de Marseille, éditions Pp en vente sur commande à La Fnac ou à Pp...
(Cette nouvelle a été publiée dans le premier recueil de groupe à compte éditeur de Pp qui contenait les oeuvres de douze dames : Entre deux eaux.)
Cette voix suave et nette constitue une présence chez cette solitaire, le nez et le stylo enfoncés dans les dossiers de son travail, et voilà que sa plume prend tout à coup un air de liberté et griffonne sur une feuille libre une histoire sans contrainte…
Avec toi, sans toit
Joëlle BEHEZ
C’est une manière discrète de participer, d’être auprès de vous…
Pp éditions
Je me pressais. Comme d’habitude. J'allais être en retard au bureau. J'avais passé trop de temps devant mon miroir à me recoiffer et le fermoir de mon bracelet en argent m'avait fait perdre du temps ; en me précipitant, j'avais cassé un talon : il me faudrait racheter des escarpins. De plus, il fallait que je change de voiture car celle-ci se traînait sur la route. Si j'avais mis des années pour obtenir ce poste, ce n'était pas le moment de le perdre. Enfin c'est ce que je pensais jusqu'à ce que...
Là, devant moi, dans le parking du supermarché, ce n'était pas possible ! Et pourtant c’était lui. Celui que j'avais quitté pour assurer ma situation en femme libre et libérée sans dépendre d’un patron. C'était la première fois que je le revoyais depuis vingt ans. Il n'avait pas beaucoup changé. Il avait certes vieilli, quelques cheveux gris tombaient sur ses oreilles et sa barbe avait poussé mais je me noyais toujours au fond de ses yeux bleus. Un individu comme lui, il ne pouvait en exister deux. Même là, la main tendue, mal vêtu et pas rasé, il gardait encore un charme certain, un pouvoir attractif indéfini.
Je me rappelais encore de ces nuits que j'avais passées toute nue dans ses bras. À l'époque, il dirigeait une entreprise et portait des costumes bleus comme ses yeux et je ne m’enfermais pas dans ma chemise de nuit actuelle.
Apparemment tout avait mal tourné pour lui. Ce n'était plus qu'un SDF parmi tant d'autres.
Ses cheveux emprisonnés dans une casquette le faisaient ressembler aux supporters de grands matchs. De quoi en « tomber sur le cul ». Comme on change !
Dire que j'avais si souvent pensé à lui en l'imaginant au niveau d'un président. Chic et choc !
Lorsque je l'ai fait monter dans ma voiture, lorsque je l'ai ramené chez moi avec la ferme intention simple de vouloir le secourir, il a dû se trouver gêné.
Et quand je l'ai déshabillé pour qu'il puisse prendre un bain et se « désodoriser », je l’ai trouvé très maigre. On apercevait ses côtes. Lui que j'avais connu en pleine forme semblait largement démuni sexuellement : son petit escargot qui nageait dans son grand slip n'avait plus la superbe d'autrefois. Bien sûr, pour moi, ce n'était pas le plus important, mais lui, sans doute devait s'en inquiéter et il se trouvait diminué devant moi. C’est là que les hommes placent leur virilité débordante en principe.
Quand j'ai eu rasé sa barbe, avec peine, je lui ai offert un bon repas de ma conception au sein de ma cuisine : il s'est rassasié. Après avoir bien bu, il s'est endormi contre mon sein à moi. La recherche maternelle sans doute…
Mais quand je me suis réveillée au petit matin, il n'était plus dans mes draps. Il était encore trop fier pour se laisser entretenir par une femme. Il avait fui avec la nuit. Même sa chute dans le malheur n’avait pu changer sa fierté intérieure. Il chantonnait encore, mon troubadour perdu, plongé sans doute dans le souvenir d’une autre époque.
Dès que j'ai pu, je suis retournée vers ce bâtiment du quartier qui abritait plusieurs sans-logis, dans le courant d'air d'un manque de volets aux fenêtres et la sobriété de l’absence de mobilier autre que les lits métalliques drapés de draps douteux dont la blancheur aurait eu besoin d’une super lessive. Je ne l'ai pas retrouvé là-bas. D'autres malheureux essayaient de s'accrocher à moi en se demandant ce que quelqu'un d'aussi bien vêtu que moi venait faire dans ce taudis où le chauffage n'était qu'un feu qui brûlait dans une barrique de métal trouée. Je n'avais jamais autant ressenti la misère. C'est là que j'ai compris qu'on pouvait descendre d'un seul coup même après avoir fréquenté le Sommet. Nul n’était à l’abri de la chute brutale. J’ai vite laissé la tâche blanche que je représentais hors de cette pénombre.
Ce soir-là, mon bon repas, bien équilibré par ma diététicienne, ne passait pas ; le sommeil, dans mon superbe lit à baldaquins, ne venait pas. Je tournais et retournais dans mes superbes draps blancs pourtant si doux. J’avais beau offrir mon corps à Morphée : je ne ressentais qu’une piqûre côté cœur qui me brûlait la peau et me réveillait à chaque fois. Pourtant, depuis, je l’avais oublié ! Alors pourquoi d’un seul coup, mon lit tant accueillant où je me vautrais après ma journée de labeur, me semblait-il soudain vide ?
Un caprice ? Une flèche égarée par Cupidon ?
La semaine qui suivit me fit connaître l'enfer. Je tournais comme une lionne en cage. Je ne parvenais plus à me concentrer dans mon travail comme si mon cerveau manquait d’oxygène.
Quelques jours plus tard, enfin, après un tas de recherches infructueuses, je l’ai retrouvé sous un pont. Il m'a regardée venir avec des yeux vitreux qui semblaient me dire : « Je ne veux pas de ta charité. »
Mais ce n'était plus le but que je m'étais tracé. J'avais compris…
Et j’ai voulu voir un « je t’aime » pudiquement déguisé dans sa ritournelle de chanteur de rue.
Le matin même, j'avais vendu mon appartement, j'avais placé beaucoup d'argent sur un compte secret mais je n'avais gardé qu'un minimum vital avec moi. J'avais revêtu un jean, un pull, j'avais coiffé mes cheveux dans une casquette et…
C’est difficile à croire : j'ai dormi avec lui dans des cartons. Je n’ai jamais été aussi bien.
Aujourd'hui, une seule chose compte : je l'ai retrouvé ! J’ai pris mon bain toute nue dans le canal et je n'ai même pas attrapé un rhume sans doute chauffée par son regard au soleil levant.
Mon travail ? J’ai démissionné, je suis heureuse... Pour l'instant ! Je n'ai pas changé de voiture et je n'ai pas racheté d’escarpins.
Bien sûr, je ne sais pas combien de temps ça durera... Mais rien n'est éternel. Qui vivra verra...
Une chose est sûre, je n'ai jamais autant apprécié un clair de lune à la belle étoile : c'est fou ce que le ciel peut changer avec toi… et sans toit !
Avec l'autorisation de l'auteur.