Un papillon sur l'aile du vent révélait à Provence-poésie Mélanie Révilla...
Simple participante du concours de nouvelles 2013, Mélanie se faisait remarquer entre Michelle Grenier et Christine Lubrano
A tour de rôle et chère Mathilde donnaient déjà à leurs auteures une place de marque dans le monde des nouvellistes provençaux.
Venant de Lozère, Nouveau monde donnait à Mélanie Révilla une bonne place parmi une quinzaine d'auteurs dont Erine Lechevalier et Laure Bolatre déjà récompensées par nos concours.
Cette année, Mélanie récidive avec une parenthèse en Provence : cette parenthèse l'a amenée au grand prix de la ville en lui rapportant outre la coupe et le recueil, un chèque de deux cents euros et le diplôme de Pp : elle succédait à Henri Mahé face à des rivales de choc.
En tout cas, Mélanie, bienvenue parmi nous, avec un chemin bien ouvert dans le monde de la nouvelle !
Et nous lui conseillons si ce n'est déjà fait de participer aussi au concours des Apollons d'Or ou à celui de Sablet où ont été remarquées nos adhérentes et amies entre autres Michelle Grenier et Geneviève Casaburi...
article :Frank Zorra
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Propos de Michelle Grenier : " La nouvelle que je préfère dans Entre Deux Eaux, c'est Mémoire de mes moires de Denise Biondo parce qu'elle a une chute vertigineuse comme je les aime..."
Merci pour Denise et, nous aussi, nous apprécions la chute...
Mais n'oublions pas de parler de Michelle qui est aussi primée pour des fables (Quand les fables se rebiffent) et dont le poème : Cent (sans) Papiers figure dans les coups de coeur du président et dans le recueil poétique : A cloche coeur.
N'oublions pas qu'elle était dans Entre Deux Eaux entre Denise et le troubadour pour un fameux duo du banc et que la revoilà en Chère Mathilde accompagnant avec le troubadour, les quatorze nouveaux auteurs d'Un papillon sur l'aile du vent !
Michelle Grenier dont on va parler plus longuement dans le prochain article des auteurs pour 2014 aux côtés du troubadour de Pp.
3e prix de la nouvelle au prix du Nyonsais et 2e prix de poésie au même concours, elle était à nouveau à l'honneur avec Rosette et Frank Zorra à la remise des prix des Apollons d'or pour son recueil "Quand les fables se rebiffent".
Pp est fière de la compter cette année dans le nombre des adhérents et espère bien trouver une troisième nouvelle fracassante pour notre concours national au pied du sapin de Noël.
Merci Michelle, nous attendons des nouvelles de Ta Provence !
Mich'Elle vous invite à visiter www.poémienne.fr
Précédent article : Nos mousquetaires de Sablet
Ils ont été tous les trois publiés dans Portique (exemplaire reçu ce jour)
parmi les récompenses des nouvellistes de Sablet (21 juillet ), ils étaient déjà remarqués :
Michelle Grenier premier prix et Geneviève Casaburi qui a aussi le premier prix à Vaison La Romaine
puis un habitué des prix de nouvelle : Danyel Camoin,
récompenses remises par Chris Bernard
Tous les trois vont se retrouver dans le livre Entre deux eaux, annoncé dans un autre article et groupant treize amis de Pp éditions qui seront à l'honneur en janvier 2013.
Voici en exclusivité les textes de trois des gagnants de Sablet sur le thème des marchés offerts pour l'été par Provence-poésie et leurs auteurs :
Vendeuses d’oranges
Le souk a lieu dans un dédale déroutant de ruelles sur lesquelles s’installent mille boutiques à ciel ouvert : on y vend de tout : vieilles bottes au cuir gras, peaux de moutons, marmites, ferraille et toute la friperie : un tas de vieux habits dignes de la hotte du chiffonnier. Les tableaux de peintre côtoient des herbes médicinales. Ici s’alignent des jarres regorgeant d’amandes, figues sèches, là, des barils suintants pleins d’olives. Plus loin des régimes de dattes suspendus à une perche. Des piles de cruches et de vaisselle s’entassent presque sous les pieds des chalands qui se fraient un passage tant bien que mal. Une femme à la voix criarde vrille dans l’air son boniment, traque le client pour qu’il achète ses coussins rouges ornés de pompons mauresques.
Au coin d’une rue, une fillette vend des oranges sanguines disposées à même le sol dans de larges couffins .A ses côtés, une vieillarde au visage aride veille au gain. Ses cheveux blancs pelotés au sommet de crâne lui donnent un air digne et austère. Sous la tunique en toile grossière, son cou de tortue est cerclé de rides plus vieilles que le monde.
Farouche, la petite cache sous un buisson de cheveux noirs ses yeux. Pour observer la vieille et l’enfant à sa guise, le touriste français leur achète chaque matin des oranges. Il en déguste une, tout le suc du Maroc inonde ses papilles. Il distribue le reste aux mendiants ravis de l’aubaine. La vieille au regard rapace ramasse l’argent en remerciant avec toutes sortes de salamalecs. La petite ne regarde personne, ne parle pas mais lève fièrement la tête, l’air sauvage et racé d’une chèvre. Furtivement, le photographe aperçoit ses yeux sous les ronces rebelles des cheveux : Des iris violets sombres qui boivent la lumière.
Dans leurs longues jupes couleur raisin sec qui balaient leurs chevilles, elles s’en vont, la vieille de sa démarche éléphantesque mais robuste encore, la petite dansant gracieusement telle une gazelle, contente de ramener les paniers vides.
Le photographe revient tous les jours acheter des oranges. La petite pèse les oranges, rend la monnaie, elle calcule vite sans se tromper. La vieille remercie d’un hochement de tête, place aussitôt l’argent dans une bourse attachée à sa ceinture.
Au bout d’une semaine, sentant la vieille marchande amadouée, l’étranger dit en montrant son appareil :
—Je peux vous prendre en photo toutes les deux ?
La vieille se racle la gorge, et répond d’une voix rauque :
—Non. Tu peux pas. Faut qu’on se fait belles.
—Non ! Je voudrais vous photographier comme vous êtes.
—Non, pas possible : reviens demain, on mettra nos bijoux et le voile : tu peux pas photo.
Il sort un billet, le lui tend. L’ œil de la marchande se met alors à clignoter comme une pie.
Avec une vivacité surprenante, elle s’empare du billet et exige :
—Encore deux billets ! Et pas de photo dans le journal. C’est pour toi, dans ton pays. Compris ? L’aïeule ajoute d’une voix dure et éraillée : Et toi, Aïcha, motus et bouche cousue. Regarde pas la machine à photo : personne peut voler ton âme , si tu donnes pas tes yeux . Compris ?
Le photographe tend deux autres billets sans marchander. D’un revers de main, la grand-mère relève les boucles rebelles de la gamine et découvre le violet sauvage des yeux, pétillants de malice. Derrière la magnifique lumière des yeux, il perçoit la méfiance instinctive face à l’homme, l’instinct de fuite, cette sorte de lueur qui s’échappe des animaux sauvages.
Le photographe, dans la pénombre de son laboratoire attend que le visage de l’aïeule se révèle dans le bac acide : Sa peau, toile d’araignée est ramifiée d’un maillage de ridules denses. Le front haut et bombé est parcheminé de sillons profonds. La mine n’en perd pas pour autant une empreinte d’orgueil et de vaillante majesté. Les prunelles noires, deux pierres ténébreuses d’ une vivacité surprenante regardent ailleurs, sur le qui-vive.
A présent le visage d’Aïcha flotte, tremble entre deux eaux dans le liquide : les yeux en amande violets, les pommettes hautes, les cheveux de jais, boucles de ronce .Dans ses prunelles frétillent une malice volubile, un soupçon de rire narquois. Comme pour se moquer de tout cela, signifier qu’elle n’est pas dupe : être photographiée : Un jeu qui remplit la bourse de billets.
Le photographe cligne des yeux, subjugué par le visage si vivant et les lèvres mi-closes qui semblent baiser l’air à chaque respiration. Aïcha le fixe droit dans les yeux, effrontée. Un regard fascinant échappé de longs cils avec un frétillement de reptile fondant sur sa proie. Ho ! La rebelle n’a pas peur qu’on lui vole son âme, il n’est pas né celui qui la domptera !
Aïcha et sa grand-mère, vendeuses d’oranges, des photographies que l’on s’arrachera à prix d’or dans une exposition à Paris.
Mich’ Elle Grenier
SOUVENIRS PARFUMES
« Ah !! Il est beau mon poisson !! Il est beau !! »
Comme chaque jour où le marché s’installe sur le port, la voix stridente de Pascaline, vient de me réveiller. C’est elle qui crie le plus fort et bien sûr, c’est elle qui vend le plus de poisson.
J’ouvre mes volets. Et les cris de la rue remplissent ma chambre comme le soleil.
Ce sera une belle journée de printemps. Presque l’été.
Je regarde la rue qui s’anime. J’admire les passantes dans leurs jolies robes légères et je laisse libre cours à mon imagination.
Je me prépare en vitesse, j’avale un café et me voilà dans la rue.
J’adore ces jours là. Ces jours où tout se mêle dans une profusion de marchandises, d’odeurs et de personnages différents. Je suis comme un spectateur qui regarde sur grand écran le défilement des images. Mais là, je fais parti du film. Je vois. Je sens. J’apprends.
Sur le quai, les étals des poissonnières regorgent de poissons de toutes sortes. Des gros. Des petits. Des couleurs qui scintillent sous les rayons du soleil. C’est à celle qui criera le plus fort pour attirer le chaland.
Je croise deux petites jupes en vichy. Leurs yeux pétillants et leur rire cristallin me font tourner la tête. Je les suis quelques minutes des yeux. Puis je repars dans ma promenade.
Dans les rues adjacentes au port, les étalages des marchandes de fruits et légumes sont de véritables explosions de senteurs et de couleurs.
Je ferme les yeux et je reste un moment à identifier les odeurs. Les odeurs de ma Provence.
La douceur des melons de Cavaillon tellement gorgés de sucre qu’ils éclatent au soleil. Les abricots dorés. Les tomates.
J’ouvre les yeux. Les couleurs me sautent au visage. Le rouge brillant des pommes d’amour, l’orange, le jaune des citrons.
Une peinture vivante.
Chaque marchand a sa propre façon d’appeler le client. Je regarde les clientes choisir méticuleusement chaque denrée.
Là une jeune femme sent à plein nez la tomate que lui tend le vendeur. Ici, une vieille ouvre un abricot pour que sa cliente puisse juger du goût.
A force de travailler dans les champs, ses mains sont parcourues par des sillons où la terre s’est incrustée. Son visage est tout ridé et comme cuit par le soleil provençal.
Je la trouve belle. Assise à même le sol avec ses paniers remplis de sa récolte. Je l’imagine dans son petit champs, à bêcher sans relâche pour pouvoir gagner quelques sous pour améliorer sa vie.
Elle est belle cette vieille avec son chapeau de paille et son jupon de grosse toile. Elle est sans âge.
Un peu plus loin, un vendeur d’épices attire mon attention.
Des paniers remplis de poudres colorées et odorantes. Du curry jaune. Du safran. Des gousses de vanille de Madagascar. Des olives vertes et noires. Mais aussi du thym, du romarin et de la lavande.
Je m’assois sur un parapet et je contemple ce tableau où chacun apporte sa propre touche.
Tiens, les deux jupes en vichy repassent devant moi en laissant derrière elles le sillage de leurs parfums.
Qu’elles sont belles ! Et qu’elles sentent bon.
Je ferme une fois de plus les yeux. J’écoute et je me rappelle. Là le vendeur d’épices. Je sens la cannelle et la muscade. Là-bas, un peu plus loin, le bel étalage du maraicher. Sur le port, je reconnaitrais entre mille la voix de Pascaline.
Ici des gens discutent. Des bonjours fusent.
J’aime cette vie tranquille et amicale.
Le 21ième siècle vient de faire son apparition. J’ai maintenant 70 ans. Je suis un vieux monsieur et à mes heures perdues, je peins.
Je peins ma Provence et je me souviens. Surtout de ce jour-là.
Devant ma toile blanche j’ai fermé les yeux et tout m’est revenu. Les odeurs. Les couleurs.
J’ai couché sur la toile tous les détails de ma mémoire. Pascaline sur le port. Et ma vieille. Ma belle vieille ave son chapeau de paille. Les couleurs éclatantes des étalages et même les deux jupes en vichy.
Sur le châssis les teintes sont là. A chacun de mes coups de pinceaux, je me souviens des senteurs. Un véritable retour en arrière. Mais ça je le garde pour moi.
Geneviève Casaburi
Un mardi de marché…
Entre le jaune des pommes golden et le vert pâle sali des artichauts blancs, son sourire s’ensoleillait au parfum des fraises qui rougissaient pour elle. Le regard des vieux libidineux plongeait sans retenue dans son décolleté qui s’ouvrait sur deux petits melons comme on aurait pu vouloir en soupeser.
Et retentissait alors le cri des vendeurs et celui des poissonnières:
« Cômmme ? Il n'est pas beau, mon poisssson ? Il est plus frais que vous ! »
Il est vrai que je ne devais pas avoir un visage très frais ; une nuit sans sommeil et quelques vertiges au lever... Quand on vieillit, on doit faire face aux rhumatismes, à la toux chronique et aux clignements de paupières.
Quelquefois, un sourire, un regard... Une image de femme qui glisse et se superpose à une autre pour un instant fugitif de bonheur et votre sang se glace parce que ce matin vous êtes réveillé. Fini le rêve, c'est le matin au marché ! Surtout, avec ce soleil fringant qui s'évertuait à rayonner lourdement sur moi, semblant me narguer et me dire :
« C'est une belle journée ! »
Mais sait-on vraiment quand on commence une journée si elle sera belle... Jusqu'au bout ? C'est vrai qu'en regardant cette vendeuse ; c'était la fête ! C'était la féria des fruits et légumes qu'elles vantait par la blancheur émaillée de ses dents saines, pas encore jaunies par le tabac ; une pure qui ne jetait pas à ces trottoirs jonchés de filtres de cigarettes… Une pure que l'on imaginait bien, dans son jardin, se penchant sur les plants de tomates avec le mignon « potiron » en l'air, lequel jardin serait en fleur de l'amour ; sourire « plein pot », tirons un trait -flèche de Cupidon brisée- sur ce régal pour un homme seul, car, j'avais passé ma nuit bien seul, bien sûr, mais je vivais toutes mes nuits depuis si longtemps avec un cadavre qui ne remuait plus un cil entre mes bras, un buste de marbre sans câlin, vivant sa destruction au fil des jours ; la plante qu'on ne peut plus arroser ! Ma vieille épouse, plus rien ne la faisait sourire ! À une autre époque, c'est elle qui aurait marché en voletant légère au milieu des étals, soupesant un chou par ici, un ananas par là... Un peu de céleri en bâtons, le persil en cadeau… puis croquant une olive verte, courant à la fête, le soir dans les bals populaires...
Une danse créole pour animer la « taule » aurait pu tout changer. Oui, tout un rêve d’or au regard de l'inconnue... Même pas besoin de l’imaginer nue, sa main seulement, les doigts accrochés aux miens ; vivante !
Tandis qu'elle me regardait partir, je sentais ses yeux remplis d’eau de mer caresser mon dos. C'est la farigoulette qui nous monte à la tête... en pareille circonstance !
J'étais au marché ! J'emportais ses pommes pesées dans mon filet, et le reste dans ma mémoire, une arrière-pensée dans le sourire, en songeant qu’un de ces jours futurs, elle pourrait bien m’apporter des oranges... Qui sait ?
Et je m'éloignais de l'étal pour quitter la place, le parfum d’un œillet accroché à ma boutonnière, un œillet noir, façon crêpe. Car, là-bas, non loin de ma porte, je voyais des uniformes qui brillaient au soleil de Provence, à la manière d'une épée de Damoclès suspendu au-dessus de ma pauvre tête.
Et oui ! Par une si belle journée, qui aurait pu penser que j'allais m'enfermer... Dans leur fourgon ? Qui aurait pu penser que j'avais tué ma femme ?
Danyel Camoin
Aller sans retour en Provence
Quand mon boss m’a parlé d’un séminaire en Provence, j’ai tout de suite accepté. J’en gardais un souvenir d’enfant émerveillé. Ce voyage ne pouvait que bien se passer. Dans ma jeunesse, j’y rendis visite à une vieille tante et son mari prés d’Aubagne dans le petit village de La Treille. Fier Parisien que j’étais je ne mis pas longtemps à tomber amoureux de ce pays merveilleux. La semaine de vacances en Août au début s’annonçait un peu glauque. On nous y avait envoyé avec Françoise de deux ans plus âgée que moi. Huit et dix ans au compteur, on se rendait déjà bien compte que cette parenthèse sudiste permettait à nos parents d’arranger leurs conflits égoïstes. Nous ne les avions vu que deux ou trois fois, cet oncle Paul et Tante Marie-Thérèse Palmini, lors de repas de familles interminables, où chacun terminait par s’en aller discrètement de la table. Le périphérique, l’autoroute du Sud de la France et on était déjà à Aubagne. Mes endormissements successifs raccourcirent le trajet PARIS-AUBAGNE. Aujourd’hui, je ne suis qu’à l’aire d’autoroute de Montélimar et déjà je râle. Cette route me parait interminable. Un coup de café et je redémarre. Je prends encore le temps de laisser resurgir mes souvenirs d’enfance en Provence.
La première fois que nous sommes arrivés au village perché sur les collines nos parents restèrent silencieux. Personne de bougeait dans la 405 break. Puis ils apparurent au portail. Deux immondes vieillards aux vêtements improbables. Pantalon à carreaux sombres et bretelles sur un marcel blanc pour l’oncle bien pale et une blouse fleurie de lavandes pour la tante au regard de pintade. Les présentations furent rapides, nos parents devaient repartir dans leurs jérémiades. En quelques instants nous nous retrouvions la valise dans notre chambre sous les toits et notre nez dans l’étable. Car les Palmini possédaient toute une ménagerie, des cochons, des lapins, des poules et quelques trophées de Chasse en paille.
Ma nuque est raide. Je viens de passer Avignon. Quelques flocons se pointent à l’horizon. Pour un mois de novembre, je me retrouve un peu « con » comme dirait l’oncle Palmini arraché à ma mémoire. La poisse commence à l’emporter sur mes efforts illusoires pour ramener du passé, une Provence pleine d’histoires.
Le choc passé de la vie à la campagne et des habitudes de nos hôtes, avec Françoise nous découvrîmes une Provence toute autre. On fit connaissance avec les enfants du quartier qui n’avaient pour la plupart pas la chance de pouvoir bouger pour les vacances d’été, Mireille, Jeannot, Alain et Marie-Angèle. Nous suions dans nos guenilles, lavées deux fois dans le séjour mais la tante Palmini se révéla pleine d’amour. Jour et nuit nous nous imprégnions du chant des grillons et des cigales. Ils rythmaient aussi nos jeux, nos taches et nos découvertes.
Où est la chaleur ? Où est la ville accueillante d’autrefois? Je n’ai pas d’autre solution que de sortir de l’autoroute plus tôt que prévu. Elle est devenue impraticable sous une couche de neige impénétrable. Déjà deux accidents à vue sur cette voie. Je suis téméraire d’ordinaire, mais là je tremble d’effroi. Je suis seul dans cette voiture de fonction prêtée pour le séminaire. Encore faut-il que j’y arrive entier, survive à cet enfer. Il neige un hiver sur six et en plus on est qu’en novembre. Il a fallu que je tombe sur cet épisode hors du commun pour m’y rendre.
Le virage de la bretelle de sortie d’autoroute se profile. Je maintiens le cap, stressé. La voiture dérape. J’arrive à la replacer dans l’axe. Mon pouls s’emballe. Tout parait si anormal. La nuit commence à tomber sous ce mur blanc qui s’installe. Je me retrouve sur la nationale, encore quelques kilomètres et je serai arrivé à bonne escale. Sur le bord de la route des camions en pagaille attendent le feu vert des autorités pour repartir. D’autres automobilistes sont coincés, il semble que le gel prend doucement sa place. Je préfère ne plus y penser. La peur risque de me faire freiner ou donner un coup de volant brutal. Chaque seconde, je peux me faire la malle.
A quoi penser d’autre pour éviter le mélodrame ? Ah si ma copine Margaux à qui j’avais osé prendre la main, le dernier jour de mon séjour en Provence. Nous étions partis sur le chemin des collines humant le romarin, le thym et la bruyère. Le majestueux rocher du Garlaban nous appelait de sa cime. Nous étions des explorateurs en mission clandestine. Mutine, Margaux décida de retourner en arrière, elle avait peur des représailles de sa mère. Nous étions deux enfants seuls sous un soleil implacable. On s’imaginait alors plus tard, une maison en tuile rouge construite pour notre famille dans ce massif agréable. Nous nous marierions. Nous en étions certains. J’aurais alors le droit de boire du pastis et elle d’étendre le linge au jardin. Qu’est-elle devenue? A-t-elle trouvé chaussure à son pied dans la garrigue ou s’en est-elle allée loin de ces racines ?
Finalement, moi, je n’étais pas si parisien, ni provençal, sans pays natal incrusté dans mes gènes. J’ai découvert ce pays accueillant qui quand vous le parcourez vous imprègne. J’entends encore cet accent chanté, sa musique, revoit ses couleurs vives qui valent que tant de peintres les peignent. Ce voyage était prétexte à revoir ce paysage magnifique mais la réalité est horrifique. La tempête déchaînée m’éloigne de mes souvenirs angéliques.
Bientôt la ville, je suis tout prêt. Concentré, je découvre dans le bas côté des voitures accidentées ou abandonnées. Je dois continuer. Accroché à mon volant, je me pincerais presque pour sortir de ce cauchemar. J’approche maintenant de la rue de l’hôtel. Je me sens déjà plus en sécurité. Je peux respirer. Mon périple va se terminer. Je me gare comme je peux dans cet océan de coton humide. Je prends mes quelques affaires et m’engouffre dans cet hôtel insipide. Il n’a de provençal que le nom. Où sont les jolies rues de mes souvenirs, je ne vois même pas les collines au dessus ? Pas de cigales, pas de ciel bleu, pas de bonnes odeurs de fleurs. A l’accueil, une jeune femme de dos semble réaliser du rangement dans leur bureau. J’attends une minute, puis deux, je trépigne. Elle ne m’a donc pas entendu où bien est-ce l’hospitalité qui décline ?
A force de regarder les cigales en terre sur le mur et les petits bouquets de lavandes séchées mes yeux clignent. Soudain, l’hôtesse se retourne. En un instant je reconnais ma petite copine, la belle Margaux qui avait si peur des épines. Son regard a gardé le bleu de la mer et ses cheveux le flou roux des herbes folles de la colline.
Qu’importe le sale temps, le mauvais sang et ce séminaire inutile, je revenais en Provence pour une réminiscence et j’ai décroché la plus sublime. Margaux me sourit comme un appel ultime. Je comprends que ma Provence a des airs de cette fille. J’y mettrai toute ma force pour qu’elle devienne mon origine.
Claire Gilbert (autorisation publication Provence-poésie 2011 dix lauréats "En Provence"
Article Frank Zorra/ Photos: Denise Biondo
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De nouveaux espoirs de la nouvelle ont jailli du concours 2013.
La sélection du concours entre les mains du jury final a donné le prix de la ville à Henri Mahé pour Le festin de Fanette des mains même de Jean-Marie Orihuel, adjoint au maire délégué à l'éducation qui a également félicité les participants au mini-spectacle : Sur les pas de Maupassant.
Mais nous pouvons aussi saluer les espoirs de la nouvelle remarqués au cours de ce prix que vous pouvez retrouver dans le recueil Inspiration Libre
en Provence accessible à tous :
Geneviève Casaburi, Céline Lacomblez et Zaven Sarafian et des nouveaux venus à Pp trés remarqués :
Mylène Roussinaud,Jeanne Champel-Grenier...Etc...
et plus particulierement l'éclatante Mireille Talotti-Miau mieux connue dans la poésie...
L'an dernier: Michèle Durand, une rencontre intéressante
dont Pp a décidé de publier la nouvelle:
KARIM, L’ANI ET LA BICYCLETTE BLEUE
Mardi, notre petite ville de Tricout a été le théâtre d'un bien étrange incident.
Mademoiselle Naomie Brunel, employée au Mac Donald, circulait sur sa bicyclette dans la Rue des Grands Espoirs. Elle rejoignait tranquillement son domicile après son travail. Une créature, semblant sortie de nulle part, s'est précipitée dans les roues de son vélo. Mademoiselle Brunel s'est littéralement envolée par-dessus son guidon et est allée s'écraser sur l'étal de légumes de Monsieur Maurin. La chute s'est heureusement révélée sans gravité pour la jeune fille. Néanmoins, il n'en a pas été de même pour l'étal du vendeur, qui s’est écroulé dans sa totalité, entraînant la perte quasi totale de ses produits.
Le mystère concernant la créature à l'origine de l'accident reste complet. On parle déjà d'ANI, animal non identifié, car ce dernier ne ressemblait ni à un chien, ni à un renard, ni à un loup et encore moins à un sanglier, ou alors à tous à la fois. La gendarmerie a d'ores et déjà entrepris d'efficaces recherches pour le dénicher.
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Allo, Pa ! D'hab, j'ai que dalle à t’raconter. Sauf qu'hier, j'ai vu un truc trop ouf !
Tu sais, la Rue des Grands Espoirs, celle que le nom t’a toujours bien fait marrer ? Celle qui va d’ mon taf à ma piole, tu vois, hein ? Ca y est, ok, tu captes ? Bon, et ben, figure-toi qu'hier quand je sortais de chez Max. Qui c'est Max ? Mon pote, Max, çui qu'a des rastas longs comme les tentacul’d'un poulpe et un bonnet rouge dessus, ça y est, t’imprimes ? Bon, tu vois.
Je disais, en sortant de chez Max, y avait un délire de ouf.
La meuf qui bosse au Mac Do, Naomie qu'elle s’appelle, elle passait peinard sur son vélo des temps modernes. Là, tu vois, je dis des temps modernes, parc’que son vélo, il est tellement d'antiquité qu'à mon avis, il doit bien dater du temps de Charlot ou même avant encor’. Je me rappelle ces films ringards que tu m’emmenais voir au ciné du coin.
D'un coup, y a une sorte de truc sur pattes, un peu clébard mais plus zarbi, qu’est venu se jeter dans les roues de son vélo. Pas même le temps de freiner. T’aurais vu le vol qu'elle s'est payée, la Naomie ! J't'jure, ça m'a fait envie : s’envoler comme ça au-dessus du trottoir ! J’en rêve encore ! Sauf qu'elle s'est ramassée dans les poires, les carottes et surtout les kakis bien mûrs. Qu'est-ce qu'ils foutaient là, les kakis, j’te jure ? Pouvait pas vendre des pommes starking ou granny comme tout le monde le vendeur !
La robe bleue de Naomie était recouverte de taches orange. On aurait dit un lancer d’oranges dans le ciel bleu. T'as vu, je deviens poète quand je suis content.
Naomie, elle s'est fait que dalle, alors, c'était trop d'la balle de la voir se sortir de ces légumes en pagaille. Jamais vu un truc pareil ! Et t'aurais vu la tronche de cake du vendeur ! J'en ai au moins pour la semaine à me marrer là-d’ssus.
N'empêche, Pa, sur ce coup-là, j’suis sûr que tu serais fier d’ton fils !
Tu sais quoi ? Non, sûr, tu peux pas savoir, à soixante bornes d'ici que t'es. J'ai couru pour aider la meuf. Sais pas pourquoi. J’ai même tenté d’ ramasser les légumes qui s’étaient fait la malle sul trottoir. Mais, ça, c’t’une autre histoire, parce que l’vendeur, il t’arrivé tout furax : « Eh ! Te gène pas, petit mec ! Tu crois pas en profiter pour me piquer mes pommes ? » Qu’est-c’qui croyait ce ouf ? Qu’j’allais lui chourer trois pommes et quatr’patates ? J’suis pas un voleur, moi, non mais !
Alors, j’me suis r’tourné vite fait vers la BG. Comment, ce que c’est BG ? Mais, faut sortir Pa ! BG c’est pour belle gosse, chouette nana dans ton français des années 80.
Manquait plus qu’il appelle les keufs, le légumier ! Comment ? On dit pas légumier. Et pourquoi, on dit bien épicier ou poissonnier ? Enfin, t’as compris quand même, Pa. N’empêche, trop zarbi son truc, parce que les keufs justement, y z’ont rappliqué vite fait.Y m’ont demandé de montrer mes papiers et tout’l’bazar. Y voyaient pas que je réparais son vélo ? Ça leur paraissait chelou un mec basané redressant une roue. Après, y z’ont rien dit.
C’était auch’de lui remettre la roue dans l’bon sens vu qu’elle avait pris un angle total traviole. Une petit’voix dans ma tête m’disait : tu fais quoi, Karim, t’as pas vu l’ genre d’fille que c’est là ? Peut-être, elle kiff’pas les basanés. J'sais pas, moi, ça a été plus fort que moi, j’étais total aspiré.
Pendant que je taffais, y a un mec tout pâle, qui nous mâtait. Tu sais, genre blondinet qui ose pas mettre le nez dehors de peur de s’prendre un coup d’soleil. Comment y me zieutait comme si j’étais d’la racaille ! Je sais pas si c’est moi ou elle qu’il avait dans le viseur, mais ell’était trop chelou son allur’. J’l’aurais bien fait dégager c’bouffon, mais j’ai préféré rester poli. J’ai fait comme si c’était personne. Déjà qu’il a pas levé le petit doigt pour aider un peu !
L'plus fort, là, c'est que final'ment, après tout ça, ben, j'y ai filé un rancart. Un rancart à la BG, Pa ! Ça m’a total fissuré ! Elle a dit oui, une fois remise à l'endroit. Un oui qu’j’aurais jamais pu imaginer. On s'fait une p'tite bouffe demain soir. A Pizzaminute, pas à Mac Do. Faut un peu changer.
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Ma chère Violette,
Mon existence si monotone a été traversée hier par un évènement pour le moins inattendu et surprenant.
Il était 16 h 35, exactement, je prenais le thé à la terrasse du salon Soleil Ambré. Je ne parvenais pas à garder mon attention sur le dernier livre de Paul Auster que je suis en train de découvrir. J’ai levé les yeux, donc, un fugitif instant, pour contempler un vol d'étourneaux dans le limpide ciel automnal. Et ô, stupeur, devine ce que mes yeux eurent la surprise de découvrir ?
Quelle idiote fais-je ! Comment peux-tu, à une bonne centaine de kilomètres d'ici, deviner ce qui se déroula devant moi? Il tombe sous le sens qu'un incident d'une si faible ampleur ne peut faire la une des journaux ou le prime-time des informations télévisées.
Figure-toi, donc, qu'une élégante jeune fille déambulait paisiblement sur l'avenue portée par son joli vélo, qui m’a rappelé celui de mon enfance. Enfant, ça remonte déjà bien à cinquante ans. La promenade de la jeune femme, Naomie Brunel, nom que j'appris par la suite, se vit inopinément interrompue par la course effrénée d'une créature non identifiée qui se précipita dans les roues de sa bicyclette. L'envolée de la jeune Naomie se révéla proprement stupéfiante. Son atterrissage au milieu de l'étalage de légumes de Monsieur Maurin tout aussi abracadabrant. Il s’agit de mon vendeur de légumes attitré. Il ne vend que de la qualité, du frais et du bio. Quel gâchis, tous ces pauvres fruits et légumes écrabouillés !
Mademoiselle Brunel ne fit l'objet d'aucune blessure grave. Cependant, sa jolie robe bleue assortie à son vélo (déjà chic à son âge !) se retrouva recouverte de malencontreuses taches orange foncé. Elle avait atterri au milieu d'un étal de fruits et légumes comprenant force fruits de plaqueminiers. Tu sais, ces fruits d'une vilaine couleur orange vif, à la peau lisse et fragile, qui, une fois fissurés, projettent leur pulpe et leur jus épais partout autour d'eux.
Quel gâchis ! Une si jolie robe ! De si beaux cheveux noir de geai ! Une peau si délicate ! Je me suis sentie malade pour elle. Je reste dans l’incapacité d’évaluer le temps qui m’aurait été nécessaire à la reprise de mes esprits dans une semblable situation.
Mon thé Dammann Darjeeling a refroidi dans ma tasse (Quel dommage !) et mes savoureux biscuits sont restés à se dessécher sous le soleil. Tout cela m'avait tellement retournée que j'en ai perdu l'appétit.
Ne pense surtout pas que j’ai pu me précipiter au secours de la jeune femme. Je m’en sentais absolument incapable. Nul besoin de moi, en fait. Deux jeunes gens se sont empressés pour la sortir de ce mauvais pas. L’un d’eux, un jeune homme à l'allure quelque peu dégingandée, au teint trop basané à mon goût, présentait une tenue laissant particulièrement à désirer. Il tenait plus du blouson noir ou du voyou que du gentil garçon. Qu'à cela ne tienne, il a volé au secours de la gente demoiselle.
Quelle honte ! Quand je pense qu'elle lui a tendu une main fine et délicate ! A sa place, jamais, ô grand jamais, je ne me serais abaissée à saisir une telle main de parfait rustre ! Quand je songe au charmant jeune homme qui suivait toute la scène d’un œil discret ! Lui, au moins, il avait de l’allure : un grand blond aux vêtements soignés, avec de belles mains de pianiste. Dommage qu’il ait affiché cet air de grand dadais. Je suis persuadée qu’il n’est pas intervenu car ce garçon aux grossières manières le mettait mal à l’aise. Et cette belle jeune fille qui ne lui prêtait guère d’attention !
Quant à la créature, cause de l’accident, il semblerait qu’elle fasse l’objet d’actives recherches. Quand je pense aux importants dégâts qu'elle a déjà engendrés et aux autres potentiels, j'en suis horrifiée ! Je souhaite de tout coeur que cette vilaine bestiole ne vienne pas s'attaquer à moi prochainement. Je suis certaine que j'en mourrais rien qu'à sa vue.
Bien à toi, ma chère Violette.
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Sophie,
Tu ne peux pas savoir comme je suis heureuse ! Hier, je crois que j’ai rencontré l’homme de ma vie. Exactement le garçon dont je rêvais depuis si longtemps. Heureusement que je vis dans une petite ville, parce qu’il y a un petit problème. Nous n’avons échangé aucun mot et je vais donc devoir entreprendre de véritables recherches pour essayer de le retrouver.
Je vais tout te raconter dans le détail.
Hier après midi, alors que je finissais mon travail au Mac Do (tu sais bien que je dois avoir un petit boulot pour parvenir à payer mes études), je rentrais chez moi sur ma vieille bicyclette (si mon père avait bien voulu m’offrir une petite voiture, je n’en serais pas là, mais bon, quand je pense que sans cette bicyclette, je ne l’aurais jamais rencontré, je dis « Vive le vélo !»), quand une sorte d’animal non identifié, ressemblant à une créature de film gore, s’est précipitée sous mes roues.
Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie. J’ai décollé de ma selle pour atterrir, devine où ?... Au milieu d’un étal de fruits et légumes. Une horreur ! Je suis tombée pile poil sur un amas de kakis ! Je les ai écrasés et ma belle robe bleue est désormais bonne à jeter.
Ça, c’est le mauvais côté de la chose.
Le bon, c’est qu’à la suite de cette incroyable chute, un jeune homme blond et élégant s’est approché et m’a regardée pendant au moins une demi-heure. Il semblait littéralement sous le choc. Je crois qu’en fait il a eu le coup de foudre. Il était tellement ému qu’il n’a rien tenté pour m’aider. C’est donc, un autre garçon, nommé Karim, qui l’a devancé. Ce garçon s’est occupé de moi et de mon vélo. Il en a complètement redressé la roue.
Pendant qu’il s’affairait ainsi, je ne pouvais détacher mon regard du jeune homme blond. Une sorte de prince charmant sorti d’on ne sait où. Je crois bien que j’ai appris par cœur les traits de son visage et sa manière de sourire. Nous n’avons échangé aucune parole. J’ignore son nom, alors que je connais celui du jeune maghrébin.
Une fois mon vélo remis d’aplomb, Karim m’a dit quelque chose, mais je ne me souviens même plus de ce que c’était. Je lui ai répondu « Oui » pour qu’enfin il me fiche la paix. Il est parti avec un sourire qui lui déchirait le visage.
Le garçon blond avait disparu. Je vais tout mettre en œuvre, maintenant, pour le retrouver. La prochaine fois, j’espère bien t’annoncer une excellente nouvelle, Sophie.
Ta fidèle amie qui te fait de gros bisous
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J’ai attendu au moins une plombe devant Pizzaminute. J’y avais dit 7h et demi et maintenant, il est presque 9h moins le quart. Je suis sûr qu’elle viendra pas. M’a posé un lapin, c’te meuf ! Sais pas si elle est BG, moi je la trouve plutôt mito. Y a personne qui l’a obligée à me répondre oui quand je l’ai invitée. Fallait pas me donner des grands espoirs comme ça, des faux quoi ! J’sais pas pourquoi je m’étais imaginé qu’elle pouvait s’intéresser à moi.
Voilà c’que c’est que d’avoir la tête qu’essaie de toucher le ciel. T’arrêtais pas de me le dire, Pa. Arrête de voir la vie en rose, Karim. La vraie vie, elle est pas rose, ni bleue, ni aucune de ces belles couleurs d’arc-en-ciel. Ta vie, à toi, mon fils, va falloir que tu te la bâtisses de jour en jour. Pas de place pour le rêve là-dedans.
T’es trop ouf, mon pauvre Karim ! Quel poucav’ ! Un moment, t’as cru jouer au Roméo. C’est pas Montaigu ton nom, Karim, t’avais oublié, c’est bien Abejdid. Avec l’allure que t’as et un nom pareil, pas étonnant que la rose que t’as dans la main soit en train d’se dessécher. La BG, elle s’imaginait pas que t’allais en plus rappliquer avec une fleur à la main. Elle a pas compris que déjà tu la kiffais. C’te meuf-là, elle doit plus croire au prince charmant depuis longtemps. Ou alors, son prince charmant, elle le voit pas sous les traits d’un marocain. Elle savait pas que derrière la peau rugueuse une âme de poète se tenait bien cachée.
Tant pis pour toi, Karim. Jamais vu un mec aussi relou. Sérieux, la prochaine fois, r’garde bien où tu fous tes baskets. R’garde plutôt les filles de ton quartier.
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Charlotte, tu ne vas jamais me croire. Hier après midi, j’ai eu l’impression de faire un plongeon soudain dans le passé. Je sortais de mon cours de solfège, quand une jeune fille circulant à vélo a été renversée quasiment devant moi par un drôle d’animal. Quel animal ? Aucune importance, là n’est pas la question. La jeune fille ayant atterri au milieu d’un étal de fruits, je me suis empressé pour la secourir. Et c’est là que, tout à coup, le passé m’a sauté à la figure. Cette jeune fille semblait pratiquement le sosie de Mamie Sarah. Tu te rends compte, un sosie, soixante-neuf ans plus tard ! J’ai tellement regardé les photos de ma grand-mère disparue si jeune que je crois la connaître par cœur. Mon père se désolait tant qu’elle n’ait jamais pu les rejoindre au-delà de la frontière. Lui avait pu partir à temps heureusement, juste avant la rafle, l’acheminement vers les camps, et toute la suite. Il l’avait longtemps attendue avec mon oncle Mikael. Mais tu sais tout cela aussi bien que moi, Charlotte.
Alors, imagine quand je me suis retrouvé face à une jeune femme ressemblant trait pour trait à Mamie Sarah, et qui plus est, sur un vélo bleu datant de cette période des années quarante. J’ai été atteint de catalepsie pendant au moins une demi-heure. Impossible de prononcer un seul mot.
Heureusement, un garçon, moins ahuri que moi, s’est proposé pour l’aider, et moi, je suis resté là, planté comme le ravi de la crèche.
Ensuite, la jeune fille est remontée sur son vélo réparé et elle est repartie tranquillement. Je ne sais d’où elle venait ni où elle allait. Aujourd’hui, je me sens le pire des idiots de ne pas lui avoir adressé la parole.
Qui sait, peut-être que c’est ma cousine que j’avais là sous les yeux ? Peut-être que Sarah n’a jamais été acheminée vers les camps ou qu’elle a y survécu et que personne ne l’a su ?
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Le mystère de l’accident de Mardi dernier est éclairci. L’animal non identifié l’ayant causé n’était autre qu’un NAC, un chimpanzé sorti en trombe de la voiture de son maître, alors que ce dernier l’emmenait promener dans la forêt voisine.
Mercredi, un joggeur matinal a eu la surprise de découvrir l’animal, profondément endormi au pied d’un chêne centenaire. Il a immédiatement prévenu la gendarmerie.
Le propriétaire, difficilement retrouvé, doit maintenant répondre des agissements de son animal atypique. Son absence de vigilance va lui causer bien du souci et nous lui souhaitons d’avoir souscrit un solide contrat d’assurance pour ce dernier.
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Aujourd'hui, Nicole Manday et Danyel Camoin
eux-même spécialistes de la nouvelle
vous présentent après Denise Biondo, Celine Lacomblez-Long et les lauréats du concours 2011 dont Natacha Rosso et Claire Gilbert
Une nouvelliste à retenir pour faire perdurer le genre :
Geneviève Casaburi
LE CARILLON DU TEMPS
(concours littéraire de Fuveau : 2010)
1934. Le plus vieux quartier de la ville. Une boutique noire et poussiéreuse. Les lettres sur la devanture ont été effacées par le temps. Plus personne ne se presse devant pour voir l’artiste qui y travaille. Le vieil horloger est tout seul, à présent. Ses rares clients, plutôt des amis sont aussi vieux que lui. On peut lire sur leur visage les dommages de la vie.
Il est minuit moins une. Le vieux monsieur, Léonce, lève les yeux derrière ses lunettes. Les mécanismes de toutes les horloges qui l’entourent, se déclanchent et à l’unisson lui rappelle le temps qui passe. Il reconnaît toutes les sonneries. Minuit. Il se lève péniblement. Eteint la lampe de son établi et part d’une démarche lente vers son arrière boutique. Il monte le vieil escalier qui craque sous chacun de ses pas, pour rejoindre son appartement.
Le vide des pièces fait monter des larmes dans ses yeux. Il se retourne et se dirige vers sa chambre. Il allume sa lampe de chevet, se déshabille difficilement, le regard fixé sur une photo jaunie.
Elle et lui le jour de leur mariage.
1874. La plus heureuse journée de sa vie. Lui tout juste vingt ans et elle à peine dix huit.
Les larmes coulent sur ses joues sans qu’il le veuille. Elle, l’amour de sa vie. Il enfile son pyjama. Envoie un « bonne nuit » à la photo et s’allonge sur son lit. Et s’endort.
Sa nuit. Ses nuits, toutes ses nuits sont peuplées du même rêve. De la même image. Elle.
Elle lui manque tant. Cinquante ans déjà. Mais son visage est toujours aussi net. Il donnerait sa vie pour la revoir encore une fois. Ses sentiments sont tellement forts qu’ils lui ont permis de rester en vie, de ne pas sombrer dans le désespoir.
Mais il a aujourd’hui quatre-vingt ans. Sa vie est derrière lui et son seul désir : la revoir et partir.
1854. C’est l’année de sa naissance. Il arrive au monde dans une famille d’artiste. Son père est un horloger renommé. Ses créations sont magnifiques et il a commencé, à la suite de ses nombreux voyages, a amassé une fabuleuse collection d’horloges et de pendules de tout genre.
Sa mère est professeur de piano.
Il vit dans un passé qui le réconforte. Le tic tac incessant des horloges ressemble aux battements du cœur de sa bien-aimée.
1884, la terrible année. Une ville entière se meurt d’une terrible épidémie.
Le Pharo se transforme en hôpital. Dans sa bonté, elle va aider. Essuie les fronts trempés de sueur de la fièvre. Lave les corps de leurs salissures. Et se meurt elle aussi. Emportée en deux jours et laissant dans le cœur de Léonce un vide immense et dévastateur.
Il était à ses côtés faisant les mêmes gestes qu’elle avait faits sur les malades. Mais elle est emmenée, une nuit à minuit. Elle ne verra pas le soleil éclatant de juin se lever une nouvelle fois sur la ville.
Le vieil horloger sait qu’elle est toujours là, avec lui. Dans son atelier qu’elle aimait tant. Elle a effleuré de ses longs doigts graciles les horloges, les pendules, les carillons. Caressé avec douceur le gros balancier de la plus vieille comtoise.
Elle les aimait tant ces horloges.
Un jour qu’elle était venue le voir travailler, et qu’elle errait dans l’atelier, elle avait trouvé le corps d’une horloge à poser. Elle était en faïence bleue aux dessins très délicats. Les deux
statuettes qui devaient l’orner, étaient posées à côté. Le mécanisme ne marchait plus. La plupart des pièces se trouvaient dans une petite caisse en bois.
Elle l’avait aimée et imaginait telle qu’elle devait être à l’origine. Elle l’adorait et voulait que son mari la répare. Elle en avait tellement envie. Mais il refusa, gentiment mais les commandes avaient afflué et il devait les honorer.
Il voulait tant lui faire plaisir mais son travail lui prit du temps pour qu’à la fin la maladie lui ravisse sa bien aimée.
L’horloge resta pendant des années dans le meuble centenaire. Pourtant, c’est sur cette merveille que le vieux monsieur s’use la vue, tous les soirs. Ces gestes sont tremblants, et beaucoup moins précis. Mais il sait qu’à la fin ce sera le plus magnifique cadeau qu’il lui fera.
Chaque matin, aux premiers rayons du soleil qui pénètrent dans sa chambre, il ouvre les yeux et son premier regard se tourne, inexorablement, vers la place qu’elle occupait à ses côtés. Et tous les matins, son cœur se serre et les larmes coulent.
La place est toujours, inexorablement, vide.
Encore un nouveau jour et rien. Il a tant prié. Il a tant demandé à Dieu de lui accorder ce dernier plaisir, la revoir une dernière fois. Il n’a presque plus la force d’espérer. Il est vieux, trop vieux pour continuer à vivre. Mais quelque chose en lui, lui insuffle assez d’énergie pour persévérer dans l’ultime but qu’il s’est donné. Finir le présent pour sa bien-aimée et partir pour la rejoindre. Enfin, heureux.
Toujours les mêmes gestes. De l’eau sur son visage fatigué. Un bol de café. Des tremblements lorsqu’il boutonne, difficilement sa chemise et qu’il lace ses chaussures. Puis la longue descente pour rejoindre son atelier.
Il s’assoit à son établi et sa journée commence.
A toutes les heures que les horloges marquent par leurs sons différentes Léonce relève la tête. Il ne voit pas la journée passer. Il en a même oublié son repas de midi, tellement il est affairé à son travail.
C’est le milieu de l’après-midi. Ses jambes sont engourdies et son dos lui fait mal. Il décide de faire une petite pause. Il se lève de son tabouret encore plus péniblement que d’habitude. Mais aujourd’hui, il n’y a prêté aucune attention. Il est resté assis, courbé au dessus de son établi trop longtemps. Mais qu’importe. Il aura bientôt fini. Ce soir peut-être, si tous les rouages minutieux s’emboîtent parfaitement.
Il monte à l’étage et se sert une tasse de vieux café resté au chaud sur l’antique cuisinière. Une gorgée. Une seule et il redescend presque en courant tant il est pressé de terminer son « chef d’œuvre ».
Le revoilà devant sa table de travail. Il modèle, polit, imbrique les roues de différentes tailles. Il lime méticuleusement chaque dent. Ses yeux le brûlent. Il les ferme un instant, pour les rouvrir presque aussitôt et continuer son travail.
Le dernier rouage, du complexe mécanisme est en place. Il remonte le tout dans le corps en faïence de l’horloge. Il met en place les différentes pièces.
Avec une infinie douceur il remonte la clé, finement ciselée et entend le « tic-tac » mélodieux de son travail.
Il jette un regard aux autres horloges qui garnissent les murs. Il positionne machinalement les aiguilles sur 11h55. Et attend.
Les minutes passent. Le son familier et métallique se fait enfin entendre. Un sourire se dessine sur ses lèvres. Les deux mains posées sur son œuvre, il veut ressentir les vibrations de chaque coup de sonnerie, comme le battement d’un cœur. Son cœur à elle.
Et puis soudain, c’est la musique chère à son cœur, à lui, qui commence.
Dong. Dong. Il compte chaque coup. Cinq. Six…Dix. Onze.
Et s’est le silence. Surpris, il lève la tête. Une lumière éclatante derrière lui. Il se retourne.
Elle est là. Au milieu de la pièce. Aussi belle que dans son souvenir. Elle lui sourit.
Il rêve. Non. Elle est bien là. Son odeur. La douceur de sa peau. Il a tellement de questions à lui poser. Tant de chose à lui dire, restées en suspens. Il a peur. Peur de la toucher et qu’elle disparaisse à nouveau. Mais elle est bien là. Elle caresse doucement sa joue où des larmes coulent.
Ils se parlent avec les yeux. Longuement. Puis le regard de sa bien-aimée se dirige vers son établi et y découvre son cadeau.
Elle avance de sa démarche légère. Frôle du bout des doigts la porcelaine.
Lui la regarde. Ses yeux délavés par les années pétillants de bonheur.
Le temps s’est arrêté. L’atelier est silencieux. Plus aucun « tic-tac ». Et à travers la fenêtre, la peine lune brille de mille feux.
Il s’est levé d’un bond, sans ressentir les douleurs qui meurtrissent jour après jour son pauvre corps. Il saisit la pendule. Elle prend tendr
Il est neuf heures du matin et au rythme des cloches de l’église, des coups redoublent d’intensité sur la porte en bois de l’atelier.
Inquiet, l’homme devant la porte interpelle un agent de police qui passait par là. Il se présente comme étant le notaire du vieil horloger. Il lui explique qu’il avait rendez-vous avec ce dernier pour mettre en ordre ses affaires avant de partir. Que celui-ci n’avait jamais raté un rendez-vous tant il est minutieux.
Le policier lisant le désarroi et l’inquiétude dans le regard de l’homme de loi, comprends qu’il se passe quelque chose.
Il décide d’enfoncer la porte. Ils pénètrent tous les deux dans l’atelier en appelant le vieil homme.
Surpris par le silence, le notaire se tait. Toutes les horloges sont arrêtées sur minuit.
Il se précipite à l’étage, suivi de près par le gendarme. Personne dans la cuisine, ni dans la salle à manger.
Ils restent devant la porte de la chambre à coucher.
Le policier tape doucement, tandis que le notaire appelle le vieux monsieur. Aucune réponse. Il ouvre lentement la porte. Il fait trop sombre pour y voir. Il l’ouvre un peu plus. La lumière du couloir éclaire la pièce. Et ils se figent tous les deux.
Le vieil homme est là. Allongé sur le lit serrant tout contre son cœur l’horloge.
Un dernier sourire sur les lèvres.
Geneviève Casaburi ____________________________________________________________________
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Un nouvel espoir de la nouvelle : Céline Lacomblez-Long
Pour ceux qui aiment les nouvelles qui soulèvent du sol...
Nous prions ceux qui aimeraient cette nouvelle de se manifester par mail
ou par commentaire pour encourager l'auteur(e) à participer à notre prochain concours.
Nous vous indiquerons que cette nouvelle a été publiée dans le recueil
des 101 nouvelles de Gémenos l'année où le troisième prix avait été attribué justement
à Denise Biondo pour Insolitude
et où Danyel Camoin avait été publié dans le même recueil pour : le regard du passé.
Il était difficile d’apercevoir le ciel entre les immeubles mais dans l’air, ce matin là, on sentait la pluie approcher. L’envie m’avait pris de marcher à l’air libre au lieu de m’enfermer dans le métro. De l’asphalte montait une odeur sèche et forte qui agressait mes poumons tandis, que de la maison d’à côté, émanait le parfum réconfortant du pain grillé. Ma rue aurait du résonner de klaxons, d’injures et de bruit de moteurs, aujourd’hui pourtant, elle était d’un calme angoissant. Un chat croisa ma route, me jetant un bref regard avant d’aller s’asseoir près d’un container à ordures un peu plus loin. Au milieu des poubelles se trouvaient un buffet bancal auquel manquaient portes et tiroir, un tapis, un fauteuil éventré sur le côté et un abat jour sans chapeau. Ma montre indiquait cinq heures quarante cinq, j’avais le temps de flâner quelques minutes… En m’approchant, pour voir si je pouvais récupérer quelque chose parmi ces objets, je découvris que ce qui faisait office de dépotoir était une impasse étroite et délaissée. Le chat me regarda approcher avec indifférence, c’était un siamois élégant qui avait la maigreur des chats de rue. Il ne semblait pas sauvage, je m’assis dans le fauteuil et avançait prudemment ma main vers le félin qui après avoir reniflé mon odeur sauta sur mes genoux et s’y installa.
La ville et la foule m’oppressaient, me réfugier dans cette impasse avant la grande frénésie du matin était une véritable aubaine.
Tandis que le chat se prélassait sur mes genoux je remarquais la curieuse disposition des objets de la ruelle, le tapis était disposé sous le fauteuil, l’abat jour sur le tapis, le buffet contre le mur, un vrai petit salon. Un rayon de soleil passa au-dessus des tours et tomba dans la rue comme un spot illuminant une scène. De petites particules le traversaient et scintillaient au passage, je caressais le chat. Soudain je cru voir passer un papillon d’une dizaine de centimètres d’envergure et presque phosphorescent. Eberlué, je clignais des yeux et l’insecte se démultiplia. C’était si étrange que je voulus me lever pour voir ça de plus près, mais je n’avais pas fais un pas qu’ils avaient disparu. Il fallait vraiment que j’aille travailler...
Avec regrets, je quittais les lieux mais le siamois, le salon et les papillons hantèrent ma journée au point qu’elle parut durer une semaine. Sur le retour, dans cette rame de métro puante et bondée, un accordéoniste mal accordé monta à bord et transforma le trajet en une éternité douloureuse. Mes voisins de voyage étaient-ils sourds ? Indifférents, vides, mes semblables paraissaient imperméables à la beauté comme à l’horreur. Je souffris donc en silence et m’efforçais comme tout le monde d’avoir l’air d’un zombie. J’avais plus que hâte de regagner mon chez moi et de retourner dans ma petite impasse mais, hélas, la pluie, le vent, la grêle me dissuadèrent de remettre le nez dehors. Alors, comme tous les soirs, je réchauffais un plat cuisiné, pris un bain et gagnais mon lit. Le lendemain le temps fut plus clément et je sortis en emportant mon thermo de café, des sardines et du lait.
L’air sentait encore la pluie, de l’asphalte montait l’odeur sèche et forte qui agressait mes poumons et de la maison d’à côté émanait toujours le parfum du pain grillé. Pour la seconde fois, je trouvais la rue étonnement calme. Pour la seconde fois, le siamois traversa mon chemin et gagna l’impasse où je le suivis. Le temps que j’installe les sardines et le lait, que je prenne place dans le fauteuil et me serve une tasse de café, il avait tout dévoré et léchait le lait sur ses moustaches.
Une goutte de pluie tomba dans ma tasse et une autre sur le chat qui se réfugia dans le buffet bancal. Malgré les nuages à nouveau menaçants que je devinais dans le petit carré de ciel au-dessus de moi, un rayon de soleil apparut dans la rue en face, exactement au même endroit que la veille. Les fines gouttelettes de pluie y faisaient un arc-en-ciel. J’avais l’impression d’être aux premières loges d’un théâtre secret, les gens de la rue passaient sans rien voir et m’offraient quelques mètres de leur journée. Qui courrait, traînait les pieds, hurlait au téléphone, riait ou pleurait. Le rituel du thermo de café et de la boite de sardines s’installa dans ma vie, un jour, puis deux, puis trois et à chaque fois des choses étranges et superbes donnaient représentation sur la scène de goudron. Les immeubles qui bordaient l’impasse sur ma droite et sur ma gauche cachaient les coulisses du spectacle et moi j’étais le spectateur dans son fauteuil, très fier de sa trouvaille.
Les jours suivants, je vis des éperviers gigantesques et zébrés qui enjambaient les passants et dont les plumes tombaient à chacun de leurs pas pour repousser aussitôt avec une couleur différente. Puis, je vis de la neige d’or tomber du ciel avec un fin bruissement et un renard couleur cobalt y laisser de délicates empreintes. Je perdis la notion du temps au point d’en oublier mon travail, jusqu’à ce que le quatrième jour, une voix s’élève derrière moi :
« Vous resterait-il un peu de ce café qui sent si bon? »
J’étais pris en flagrant délit de bizarrerie ! Qu’allait-on penser de moi, assis de la sorte à observer les gens ? Mais l’homme qui venait de parler ne semblait pas s’en soucier. Il était vieux, ses cheveux étaient blancs, son visage long, plutôt quelconque et parcouru de rides, un haut-de-forme, une queue de pie. Il s’appuyait sur une branche d’arbre fine et encore couverte de feuille.
« Les visiteurs sont rares. Soyez le bienvenu ici, voyageur. Je vous en pris asseyez-vous, vous le savez, le spectacle va commencer. »
Le vieil homme prit place dans le fauteuil que je lui cédais et le chat se blottit contre lui, moi je m’asseyais en tailleur sur le tapis et nous servais deux tasses. Je tendis l’une d’elles à mon hôte ; il pleuvait des cordes autour de nous, des parapluies de toutes les couleurs et de toutes les formes flottaient au-dessus du salon. L’ampoule de l’abat-jour s’alluma comme par magie, égayant d’une lumière jaune et chaude les murs de l’impasse. Les gens pressaient le pas, s’abritant sous leur veste ou bien se serrant à plusieurs sous les parapluies, de temps à autres de petits rayons de soleil perçaient les nuages et tombaient dans la rue donnant naissance à d’éphémères arcs-en-ciel. On aurait dit un ballet ; le vieil homme tira sur la corde de l’abat jour, la lumière clignota et alors les parapluies des passants se mirent à voler entraînant leur propriétaire avec eux sans que ceux-ci ne semblent se rendre compte de la situation. Certains marchaient dans le vide, d’autres la tête en bas et tournoyaient. Le spectacle dura des heures, rythmé par la pluie, le tonnerre et les pas des passants, m’enivrant. S’enracinant là où les passants jetaient avec négligence chewing-gum, papiers et cigarettes, des fleurs jaillissaient. Des milliers des choses extraordinaires s’offrirent ainsi à mes yeux sans que la moindre question, le moindre étonnement ne m’effleure. Mais c’était le bouquet final. Au bout d’un temps, la mélodie se fit plus calme, la pluie plus fine et le temps moins sombre, le rythme ralentit. Bercé par la musique, le chat blottit contre moi, je m’endormis sur le tapis. J’étais rassasié de beauté, apaisé, j’oubliais la misère du monde pour n’en voir plus que la lumière.
Ce matin-là, on me trouva à même le sol. Seul dans cette impasse vide avec mon thermo de café, vide lui aussi. Déboussolé, je me mis en quête de mes compagnons de mystère mais ils avaient disparus, sortis de ma vie comme ils y étaient entrés.
La rue était bruyante et sentait mauvais, dans la maison d’à côté des gens se disputaient, les klaxons des voitures faisaient un concert derrière le lent et imperturbable camion benne. Les éboueurs avaient tout emporté.
Jamais plus je ne vis le chat et le vieil homme et le reste sauf peut-être dans mes rêves, les soirs d’orage. Ces nuits là, je revenais dans l’impasse et regardait les larmes du ciel recouvrir mon triste monde et le maquiller de merveilles. Pour un temps…
Céline Lacomblez-Long
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Lauréate du grand prix de la ville d'Aubagne pour Peignez vos rêves, Natacha Rosso a aussi écrit " le Vide"
pour le concours interne de Pp.
Concours interne Provence-Poésie 2011 (thème : déclaration d’amour)
Le Vide
« Depuis que tu es partie, tout a changé, tout a vieilli. Je vois ton reflet dans mon miroir, ton ombre face à mes pas, ton vide au creux des draps. Pourquoi si vite, pourquoi ce jour là ? J’erre dans la maison, persuadé d’entendre le son de ta voix. Je recherche tes éclats de rire passagers qui me sont si familiers. J’hante les lieux en ne pensant qu’à toi. Je peux affirmer aujourd’hui que ma vie n’a été qu’un grand doute sans la certitude de ta présence. Ton cœur me manque. Mon unique battement a tristement remplacé notre duo bien orchestré. Je ne suis qu’un pauvre pantin ayant perdu son créateur, sans main qui m’agite, je demeure inerte. Sans amour qui m’habite, je ne suis qu’un papier froissé au fond d’une corbeille. Une toile blanche, un musicien isolé. J’ai cru hier te croiser dans la rue, j’ai couru mais tu n’y étais plus. Pour oublier ton départ je me plonge dans la lecture mais aucun personnage ne me rassure. Je lis et je m’ennuie. Je ne te retrouve pas dans ces pages écrites pour d’autres.
Lorsque le livre a refermé sa couverture de cuir, je m’invente des histoires. D’anciennes lectures m’inspirent, je trouve refuge en enfance. Andersen, Grimm, Perrault me tiennent la main. La Belle au Bois dormant te ressemble un peu, j’emprunte les bottes de sept lieues, la petite fille aux allumettes a toujours aussi froid, Hansel et Grethel sont si malicieux. J’ai même rencontré le chaperon rouge ! Là, à l’orée de mon imaginaire, se cache un bois paisible et silencieux. Je retrouve les personnages que nous aimions tant, mais aucune trace de toi. Je danse avec certains, je converse avec d’autres mais tu n’y es pas. Alors je m’en vais, laissant entre eux ces gens si gais. Ce bonheur, moi, je n’y ai pas droit. Adieu Rose-Neige et Rouge-Rose, je ne suis qu’un esprit dans une bouteille à la recherche de sa clé d’or…
Au cœur des jours les plus sombres, où la vision de ton visage me serait presque insupportable, je deviens ce Horla auquel il manque un verre d’eau ou un peu de raison. Je ne suis plus moi même depuis que tu n’es plus là, je perds chaque jour un peu de toi. Je suis un peu fou. Comment peut-on en arriver là ? On prête un jour son âme qui ne nous revient pas, on prête encore son cœur qui se tord de douleur. Si tu savais comme cela fait mal une peine impalpable, une souffrance sans remède ! Peut-être si tu lisais ces mots, si tu revenais... Peut être alors, qui sait ? Je guérirais… »
Dans un élan de courage ultime, je déposai la lettre dans la boite. Elle tomba dans un bruit sourd, me rappelant que je ne pourrais plus revenir en arrière. Enfin, je traversai la petite allée herbeuse menant jusqu’à la porte d’entrée et gravis les escaliers. Entre mes murs, je déposai mon âme fatiguée au creux d’un canapé. Face à l’horloge murale, j’observai le temps passer : il ne marchait pas, il courait.
J’entendis soudain un bruit connu de clés dansant dans la serrure. Elle était là, elle revenait. Quelques sacs oscillaient dans les paumes de ses mains, son regard croisa le mien. L’étonnement transparaissait à travers ses iris vert-gris. Lentement, elle déposa ses paquets et fouilla dans la poche de son manteau. La lettre en sortit triomphante.
- Mais, mon bien aimé, je ne t’ai jamais quitté ! Je dors encore à tes côtés… Je ne comprends pas…
- Tous les jours, j’ai peur que tu disparaisses. Si tu devais le faire, voilà ce que tu lirais.
Elle s’approcha de moi sans me quitter des yeux. Une pointe de colère obscurcit ses prunelles puis la douceur revint. Elle prit ma tête entre ses mains et murmura gentiment
- Quoi qu’il en soit, c’est ta plus belle déclaration d’amour…
Natacha ROSSO
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OPERATION BLANCHE NEIGE
De Carole Bergé
Décembre 2009. Le mistral souffle sur les collines provençales. La nuit va bientôt se terminer.
"Patrouille unit 13 à Q.G.
- Unit 13 parlez.
- Nous avons mis pied à terre. L'atterrissage des troupes s'est passé en douceur. Pas de perte, ni de gars restés coincés dans les pins. Nous maintenons notre timing. Nous sommes au complet et prêts pour l'opération "Blanche Neige." Nous avançons à couvert dans une forêt de pins vers notre cible. Il fait encore nuit mais le jour ne devrait pas tarder à se lever. L'étoile du berger nous guide vers notre chemin. Nous allons nous déployer dans 2 minutes.
- Bien reçu pour Q.G. Nous vous souhaitons bonne chance. N'oubliez pas que si vous réussissez vous deviendrez des héros pour notre nation.
- A tous les soldats de lieutenant Grabouille. Nous ne savons pas où nous avons atterri. Je vous demande d'être attentif face à l'ennemi. Nous risquons d'être en terrain hostile. Aucune bavure ne sera acceptée par notre commandement. Formez les groupes comme prévu et tenons-nous informés au fur et à mesure de nos investigations."
Les soldats se séparent tout en dévalant le pan de colline qui doit les mener vers leur cible.
" Lieutenant Grabouille de soldat Fins.
- Parlez.
- Je distingue au loin grâce aux jumelles infra rouges, deux jeunes personnes. Il semblerait que ce soit un jeune homme accompagné d'une femme tout aussi jeune. Je ne sais pas ce qu'ils peuvent faire ici si tôt le matin. Ils portent chacun un baluchon. Je vais essayer de me rapprocher d'eux discrètement.
- Lieutenant Grabouille de caporal Bart, nous arrivons à proximité d'un moulin. Chose étonnante, ses ailes ne tournent pas. Elles sont même attachées par des liens. A travers la vitre, je vois le meunier…et vous ne me croirez pas…il dort. N'est-ce pas étonnant qu'un meunier dorme encore à cette heure-ci. Ne devrait-il pas être en train de préparer sa farine pour la vendre au boulanger ?
- Caporal Bart attention c'est certainement un piège. Restez sur vos gardes.
- Lieutenant Grabouille de sapeur Fins, je me suis approché des deux jeunes gens. Je pense qu'ils fuient quelque chose. Le danger est sûrement derrière eux maintenant. Attention à vous.
- Lieutenant Grabouille de sergent Boutig.
- Parlez.
- J'entends quelqu'un pleurer derrière une borie. Il y a un troupeau de moutons qui pâture devant.
- Attention qui dit moutons, dit chien. Vous allez vous faire repérer. Ce n’est pas le moment.
- Nous nous faisons discrets, mon lieutenant. En plus on a la chance que le vent renvoie nos odeurs de l’autre côté. A priori il n’y a pas de chien en vue mais le berger est là. Il est seul, agenouillé devant ses moutons. C’est cet homme qui pleure. Il tient quelque chose dans ces bras. On dirait une forme avec des poils. Je vais m'approcher de lui et vous tiens au courant.
- Surtout, ne prenez pas de risque sergent Boutig. Ce n'est pas le moment de nous faire repérer.
- Lieutenant Grabouille de Fins.
- Parlez Fins.
- Nous avons laissé les jeunes près de l’étang et nous dirigeons vers un colombier. Chut, il y a quelqu’un qui hurle au loin mais le vent ne me permet pas d'entendre pour le moment. Nous a-t-il vus ? Il risque d'aller avertir les autres.
- Lieutenant Grabouille de soldat Brun.
- Parlez.
- Je ne comprends pas, je me retrouve face à un homme étrange qui me regarde les bras levé au ciel.
- C'est normal si vous braquez votre fusil sur lui.
- Absolument pas mon lieutenant …Je ne l'ai même pas mis en joue.
- Soyez vigilant c'est peut être un acte de diversion. Certains sont des infiltrés.
- Lieutenant Grabouille de sergent Boutig.
- On vous écoute.
- Le berger tient dans ses bras un chien. L'animal semble sans vie. C’est certainement la raison de sa tristesse. C’est sûr qu’un berger sans chien c’est comme un homm….
- Sergent Boutig, je vous rappelle que nous sommes en mission. S’il n’y a rien de suspect alors je vous ordonne de passer votre chemin.
- A vos ordres chef. Nous repartons immédiatement.
- Chef, l’homme qui lève les bras ne veut pas les baisser. Il n'a pas l'air de comprendre notre langue ! Dans quel pays a-t-on atterri ?
- Ce n'est pas le moment de se poser des questions. N’insistez pas et laissez cet homme avec ses bras en l’air s’il le souhaite. Je vous ordonne de continuer votre mission.
- Bien chef.
- De lieutenant Gabouille à toutes les équipes, nous arrivons à l'entrée du village. Je répète, nous arrivons à l'entrée du village et allons tenter une approche pacifique. Je vous demande un status quo total jusqu’à ma prochaine intervention."
Seul le Mistral se fit entendre puis quelques minutes plus tard :
- De lieutenant Grabouille à toutes les troupes, nous entrons à l'instant dans le village. Tout a l'air calme ici. Nous progressons lentement. Notre arrivée ne semble pas les perturber. Nous avançons vers le centre. Est-ce que vous entendez cette musique, on dirait de la trompette. Existe-t-il une autre garnison dans le coin ?
- Pas à ma connaissance mon lieutenant. Il n’y a rien d’indiqué sur nos plans. De toutes manières cette musique ne ressemble pas à une musique militaire.
- Vous avez raison soldat Yéti, elle est plus douce. On dirait presque une musique de Noël.
- Lieutenant Grabouille de soldat Fins.
- Parlez.
- Ca y est je me suis rapproché de l'homme qui crie au loin…il appelle Mireille, Mireille …chef c'est peut être un code. Nous auraient-ils repérés ?
- De lieutenant Grabouille à Fins, déguerpissez de là au plus vite. On ne sait jamais. Mettez-vous à couvert.
- Chef de caporal Bart, nous quittons le moulin et descendons le long de la rivière.
- Reçu.
- Attention à ceux qui descendent la rivière, nous avons vu un homme en cape rouge, des poules à la main…il a toute l'attitude d'un voleur. Surtout n'intervenez pas, il peut-être armé.
- A toutes les troupes, nous progressons toujours au sein du village. Personne ne bouge. C’est très curieux. Ils paraissent totalement indifférents à notre arrivée. On pourrait même croire qu’ils sont paralysés : par la peur ? Notre arrivée massive a du les surprendre et les effrayer. Je ne sais pas où l’on a atterri mais ça ne me parait quand même pas normal. On se croirait dans une autre dimension. »
Le mistral se mit à souffler de plus belle. Seules les feuilles de l’olivier sur la place du village se mirent à onduler. Un des soldats perdit l’équilibre par la violence du vent. Soudain une voix féminine se fit entendre :
" Marius, combien de fois t’ai-je déjà dit de fermer cette maudite porte d’entrée lorsqu’il y a du vent comme aujourd’hui. Ca va tout me casser. Oh non, qu’as-tu encore fait ? Que font tous ces soldats dans ma crèche ? Combien de fois dois-je te rappeler que ma crèche n'est pas une aire de jeu."
On était le 24 décembre, 17 heures, dans un petit village Provençal niché au pied du Garlaban, Claire pour la énième fois de la journée passait en boucle sur sa vieille platine, son disque de Noël préféré. Celui qui avait bercé les tendres Noëls de son enfance : la pastorale des santons de Provence d'Yvan Audouard.
Carole Bergé
Cette nouvelle a obtenu un prix l'an dernier au concours "En Provence".
Carole est aussi participante du concours Inspiration libre cette année...