La première apparition de Frank Zorra dans le domaine littéraire s'est faite dans ce livre édité par Ema. Au seuil de l'inexplicable.
L'auteur y laissait le flambeau de la
narration à ce clone : un détective qui devait raconter ses enquêtes sur des phénomènes planétaires ou paranormaux autour de Marseille, sa ville natale, et au coeur de 2022.
Ce livre n'est pas disponible chez P-poésie mais sur commande dans toutes les fnacs et dans certaines librairies comme l'Alinéa à Martigues, l'Odeur du temps à Marseille(rue Pavillon), librairie
Thiéblemont à La Bouilladisse.
Un extrait de l'enquête la plus remarquable : "les araignées rouges" est publiée dans le blog de provence-poésie(pp).
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Aujourd'hui, Frank Zorra publie lui-même ses enquêtes soit sur internet à l'unité, soit en recueil géré par Provence-poésie. Les parfums de Marseille, présenté à Marseille en 2009 par l'académicien de Provence Danyel Camoin au carré des écrivains, était le recueil de base repris par les éditions Baudelaire, avec 7 enquêtes de plus, dans leur édition : Je suis né à Marseille.
En attendant que diriez-vous d'un poème signé Zorra...
Si vous le trouvez, surtout ne le dites pas... à Frank Zorra .
Le carnet vert (nouvelle de F-Z )a été publié dans les parfums de Marseille, livre qui sera présent au carré des écrivains le 6 novembre au centre bourse, avec le guide qui contient d'ailleurs un extrait du livre de Zorra concernant le bunker de Saint-Loup (nouvelle : l'enlèvement secret). D'autre nouvelles vous attendent dans ce recueil du détective marseillais farfelu qui respire gaiement le parfum des dames.
Cette nouvelle archivée dans les pages de droite à la rentrée a fait également l'objet d'un scénario.
Minuit sonnait. Une Renault cinq bleu conduite à toute vitesse dévalait le périphérique d’Aix en Provence, plein phares… Pied au plancher, le conducteur transpirait, son front brillant au-dessus de lunettes noires derrière son pare-brise ; il traversait la Rotonde et filait vers le Pont de l’Arc, il semblait poursuivi pourtant le boulevard derrière lui demeurait vide ! Il allait parvenir à l’autoroute. Plus que quelques tours de roues… Soudain, une explosion retentit dans le véhicule ; il sauta par la portière : la voiture stoppa en flammes contre un platane, puis une explosion plus forte secoua la ville endormie et attira l’attention d’un motocycliste qui s’arrêta. Il cria et demanda si le conducteur avait besoin d’aide : au lieu de répondre celui-ci arracha sa barbe apparemment fausse, jeta son imperméable gris et s’enfuit en boitant vers le pont . Le jeune motard resta un moment hébété, cloué sur place :
« -Oh ! Putain, dis, c’était peut-être un espion ! »
Le carnet vert
Marseille 1999. Ce matin-là, il pleuvait : c’est rare mais quand cela arrive, ce n’est pas pour rire, ce n’est pas une galéjade ! Elle n’avait pas de parapluie : elle n’avait pas rencontré un poète comme Brassens pour l’abriter sous un petit coin ! Elle s’était couvert la tête avec sa veste en cuir longue à col fourré et sa silhouette s’était dressée là derrière la vitre, dominant l’entrée du bureau : un mauvais présage en noir et blanc.
Elle avait une voix fine et lente comme les femmes résignées et un parfum trouble de chien mouillé ; elle articulait :
–Mon mari m’a appelé puis il a disparu ; la dernière chose qu’il m’ait dite c’est qu’il avait trouvé un carnet vert, le carnet d’un agent international, une révélation qui pouvait changer le monde ! Après sa divulgation, on serait riche, mais avant c’était dangereux, il fallait qu’il se cache quelques jours, le temps de contacter la presse avant que le gouvernement ne l’arrête pour récupérer l’info… Après cela, il a disparu : je ne sais pas où il est !
–Je ne suis pas journaliste, je suis détective privé, je m’appelle Zorra, Frank Zorra, comme Zorro mais avec un a, et je ne vois comment vous allez être riche avec moi étant donné que je suis assez fauché. À Marseille, j’arrive à survivre parce que je connais beaucoup de gens et je peux vous piloter vers une amie journaliste nommée Martine, qui prendra votre histoire et…
–Pas de conneries ! Monsieur Zorra, mon mari avait le carnet, lui pouvait contacter les journalistes, la télé même, mais moi je n’ai rien ; c’est lui que je veux retrouver et vous êtes l’homme qu’il faut, n’est-ce pas ?…
–Et là ! Je ne suis pas Philip Marlowe et l’époque de Bogart est dépassée, aujourd’hui, un détective, malgré les ordi… C’est pas Superman ! Je fais ce boulot de merde parce que je n’ai jamais été capable de bosser pour un patron et à part le pastaga qui est offert par les copains, il faut du fric pour bouffer, c’est le vingt et unième siècle et il reste toujours des morts de faim !
Ma cliente me regardait méchamment du haut de son mètre soixante-dix avec un œil jaugeur de poule dégoûtée à peine à deux doigts du mépris. Il fallait que je reste dans le sujet : son mari ; elle devait l’aimer pour le rechercher à moins que ce soit le carnet qui l’émoustille…
Ce gars-là, sa compagne maintenant devenait la solitude de la peur, si la traque ne l’avait pas rattrapé ! L’épouse délaissée était là, devant le vieux bureau, encombré de dossiers vides et d’affaires inutiles, et je feignais de prendre des notes sur les derniers endroits que le dit-époux avait traversés. En fait, je lorgnais par-dessus les mini-lunettes que j’utilisais que pour écrire et jaugeait ma cliente ; une nana de la trentaine, blondasse. Les cheveux, séparés par un sillon central, retombaient en courbure interne au bas de son cou gracieux. Les épaules avachies optaient vers le bas comme celles des minettes qui se courbent par complexe pour cacher leur poitrine ; elle n’avait pourtant pas grand’chose à dissimuler, deux pommes avec deux pointes en sommets d’asperges qui marquaient le tee-shirt blanc ; la pauvre n’avait plus le pognon pour se payer un soutien-balles. J’imaginais que les gousses d’ail dans son pantalon n’étaient pas plus garnies. Les pouces de ses mains se plantaient courbés dans son ceinturon dont la boucle en forme de marguerite brillait plus que son regard noir ; celui-ci soutenait un pantalon tout aussi sombre qui imitait un jean sans en être un, mais qui accusait la tendance néfaste de l’époque à mettre les femmes en pantalon. Je ne parvenais pas à saisir son parfum : étais-je enrhumé ?
On était presque en l’an deux-mille et on attendait un présumé bug qui angoissait car il devait mettre tous les ordinateurs en défaut. L’an quatre-vingt dix-neuf, on aurait préféré un soixante-neuf ; j’avais tout ce qu’il fallait sous le bureau mais Madame était loin de ces idées : elle voulait Marc Dubois, un fouinard qui avait mis les pieds dans la merdouille en récupérant un carnet vert, l’émeraude de la peur ! Dans cet écrin devait se blottir un secret, révélation unique, genre magouille d’état avec des agents chargés de le récupérer et de supprimer les témoins !
Alors, le mari ? Six pieds sous terre… Et bientôt plus de Zorra ! Elle traînait avec elle une odeur de mort en attente dans ses baskets ! Non ! Rectification ; elle marchait avec des sandales qui laissaient dépasser ses petits orteils soignés et blanchis au vernis à ongle, dix petits doigts qui se trémoussaient dans tous les sens et se tortillaient quand elle parlait. Une alliance au médius de la main droite rappelait au pauvre mec que j’étais qu’elle n’était pas venue pour lui. D’ailleurs, avec la cinquantaine qui pointait en bombant mon ventre paradant par-dessus ma ceinture élastique, abdos Kronenbourg, et mon rasage toujours de trois jours, à la Gainsbourg, je n’étais pas prêt pour une rencontre amoureuse. Oui, mais elle était là et elle avait besoin du détective : l’entité qui vivait en moi et disputait mon corps à la solitude !
Christine Dubois se décida donc à lui décrocher un sourire qui révélait un écart entre ses deux incisives du haut qui lui donnait un air de Sylvie Vartan dans les sixties, mais tout de suite après, ses lèvres se resserraient ------dans une grimace d’inquiétude…
Pour les services administratifs, Marc Dubois était une planche pourrie qu’il fallait remplacer, et quand on le repêcha dans l’Arc, près d’Aix en Provence, il n’eut même pas une première page des journaux ! Un accident, un fait divers sans importance… Le détective, c’est-à-dire moi… Il m’arrive parfois de me dédoubler dans les enquêtes, je suis aussi la voix-off, n’est-ce pas ? D’un côté, l’écrivain et de l’autre… le fada marseillais qui fourre son gros nez partout ! Pour de l’argent ? Prétexte ! L’aventure, le contact humain, la curiosité… J’accompagnais la dame pour reconnaître le corps qui fut rapatrié dans son village avec ses affaires, évidemment, pas de carnet vert !
On aurait pu tout stopper là ; elle avait retrouvé son mari mais la ténacité des femmes ne s’arrêtait pas ainsi ;
–On l’a accidenté, il n’avait pas le genre à boire ou à tomber à l’eau, il nageait comme un poisson, il a été plongeur à Marseille…
–Moi aussi, mais ce n’était pas la même plonge !
–À la Comex ! Je n’ai pas le cœur à rire, que proposez-vous ?
Dans les objets récupérés, il n’y avait rien d’important sauf un relevé écrit en rouge, une série de chiffres ; un code d’ouverture mais qui ouvrait quoi ? Christine parlait d’un coffre dans la villa abandonnée de sa belle-mère qui était caché dans une penderie, il s’ouvrait par une combinaison à neuf chiffres mais le code trouvé n’en avait que sept… Elle réussit à me convaincre de l’emmener chercher dans le coffre : mauvaise idée d’après le détective…
Après les larmes, le cercueil, les adieux à l’époux, pendant que je récupérais le véhicule, elle m’attendait sur les quais assise sur une bite ; la voir ainsi à mon arrivée me rendait songeur. Des gabians audacieux prêts à manger dans sa main s’envolèrent devant mon capot. Je lui ouvrais la portière en me courbant comme pour une princesse. Nous voilà partis sur la route !
Je m’étais arrosé de Grand Large, parfum de mec qui dure contre vents et marées. On pouvait me croire contaminé par l’enquête sur la parfumée mais c’était plutôt pour me conserver un air de mer dans mon voyage. Je regardais Massalia disparaître dans le rétroviseur de la miteuse Peugeot Junior gris métal qui roulait vers une villa perdue sur le massif de la Sainte-baume, à la frontière des Bouches du Rhône : heureusement, il ne neigeait pas ! Quand j’étais enfant, on disait qu’en l’an 2000 les voitures voleraient et que la circulation se ferait sur plusieurs niveaux, façon cinquième élément§, mais il fallait qu’elles se grouillent de sortir les ailes, les bagnoles parce que le siècle se terminait et elles se traînaient toujours sur les routes en polluant et en déclenchant des carambolages. On avait bien des téléphones en boîtes de poche qui apparaissaient mais des voitures dans l’air, cela restait utopique !
Dans le début du trajet, ma passagère expliqua que, manquant d’argent, le défunt n’avait pu récupérer la villa de sa mère et l’avait simplement conservée pour des éventuels jours meilleurs. « Tout le monde les attend ceux-là » pensait le détective ! Le paysage provençal défilait de chaque côté du véhicule avec une altitude qui s’accentuait au travers de succession de virages qui demandait l’attention du chauffeur. C’est à dire moi, je vous avais dit que je me dédoublais, n’est-ce pas ? Des pins parasol se penchaient pour voir la jolie Christine qui avait posé un pied nu sur le tableau de bord. J’essayais de ne pas égarer mon attention sur le mouvement de ses petits orteils dont l’un était bagué.
Quelques grives s’envolaient, dérangées par les bruits du moteur polluant qui empêchait les passagers de profiter du chant naturel des dernières cigales. Des feuilles de chêne, agressées par l’automne, traversaient la route qui jouait à la couleuvre entre le fossé et la colline. L’air plus pur essayait de pénétrer la puanteur du véhicule et Christine lui ouvrit une vitre complice pour appeler un parfum de pomme de pin.
La voiture grimpait la côte conduite par le héros, la jeune femme s’assoupit à mi-chemin sur le fauteuil du passager. Je surveillais mon rétroviseur, aucun véhicule derrière nous, mais même s’il n’est pas suivi, le détective sent le danger se rapprocher d’instinct. Normalement, le mari retrouvé, j’aurais dû la laisser tomber sans qu’elle se fasse trop mal mais elle aurait continué seule et… c’était ma seule cliente ! Elle était jolie finalement, les yeux fermés, elle me rappelait un peu mon ex-femme : elle aussi dormait sur le siège en confiance… Mais c’était, longtemps, longtemps auparavant, presque dans une autre vie !
On s’arrêta dans un restaurant pour se rassasier : elle picorait comme un oiseau, en comparaison, on aurait pu le considérer comme un ogre. Le fouineur dans la splendeur de son âge avait laissé dans la voiture ses lunettes noires et sa casquette marine. Droit dans mon pantalon de velours noir surmonté par son sweat, je faisais honneur à l’escale en goûtant aux meilleurs plats. Mes yeux bleu-verts, au coin desquels se traçaient en traîtres quelques plis de peau, s’illuminaient d’un vague reflet de mer pendant que j’arborais un sourire rassurant qui remuait les poils poivre et sel plantés dans mes joues rondes et mon menton avancé.
Bien qu’elle fut supérieure au bord de mer, le goinfre chargea son assiette de soupe de poissons de roche de croûtons nappés de rouille et l’accompagna d’un petit vin blanc sympathique. J’additionnai ensuite quelques alouettes sans tête après la salade de foie de volaille pour profiter de l’occasion. Elle me regardait me cramponner à mon couvert avec mes larges mains velues. Elle devait trouver que je bouffais trop. Heureusement pour elle, elle ne connaissait pas Max…
Un touriste belge avec une longue chevelure frisée rousse et des yeux clairs se faisait remarquer bruyamment en critiquant la cuisine : il remuait ses mains grasses et jonchée de tâches aux doigts boudinés, la bouche mimant une grimace de dégoût. Il nous adressa un étrange regard scrutateur dans lequel je sentis un intérêt trop poussé. Je pensais : « Eh bè, quoi ? Elle est trop belle pour moi ? Va te faire une soupe d’esques ! »
Cependant, je préférais ne pas attirer l’attention sur nous et n’articulais pas un mot. Je préférai poser mon regard sur ma compagne la regardant picorer dans son assiette.
La villa se présenta bientôt devant nous. Un vieux portail, une haie et une bâtisse de style mas provençal se perdait à flanc de colline au bout du plan d’Aups. Nous entrâmes dans le domaine.
Les buissons fleuris se disputaient la bordure de l’allée avec des épines de ronces envahissantes. Une énorme toile d’araignée garnissait la porte d’entrée et une grande pièce, où l’essentiel semblait être la cheminée, s’éclaira par l’ouverture. L’humidité galopait à l’intérieur se parfumant à la moisissure des bois ; elle était dérangée par l’incursion !
Nous trouvâmes le coffre comme elle l’avait dit dans une penderie de chambre encore plus odorante ; mais les sept chiffres n’ouvraient rien, il fallait trouver les deux qui manquaient et toutes les combinaisons possibles prendraient trop de temps… Vu l’ambiance de l’accueil en ces lieux, on n’était pas engagé à s’incruster, même s’il restait quelques accessoires comme les chandeliers qui remplaçaient à leur manière le courant électrique coupé. Suivant l’avis de détective, nous n’avions plus qu’à repartir ! Soudain, nous entendîmes des claquements secs comme des coups de feu.
Quand nous sortîmes, les pneus de la junior étaient à plat, impossible de repartir ! J’appelai un garagiste avec le portable de la veuve. Elle décida de passer la nuit sur place. Ce qui laissa le temps au professionnel pour dépanner. Un feu de bois dans la cheminée et le lendemain, tout serait plus clair. Les pièces de la villa étaient froides, il valait mieux rester près de la cheminée.
La veuve blonde ne voulait pas dormir avec son pantalon et elle avoua qu’elle ne portait jamais de sous-vêtements ; j’étais déjà au courant pour le soutif, elle avait horreur du nylon mais n’était pas exhibitionniste.
Elle courut prendre une couverture dans l’auto et la fit tenir à son compagnon comme un paravent puis, découvrit le bas de son corps, cachée derrière son tissu : une fois prête, elle se roula dans la couverture et s’allongea devant la cheminée.
La nuit ne se termina pas ainsi, ses pieds dépassaient de la couverture et, vers le matin, elle eut froid ; le vieux Frank s’approcha donc et réchauffa les orteils dans ses mains en soufflant sur eux, tel le bœuf de la crèche. Dois-je avouer un certain plaisir à les caresser ?
Manquant de bois, le feu s’éteignait. Je me couchais contre elle et achevais de la couvrir avec ma veste. La chaleur de sa présence parfuma mes rêves car j’avais plongé mon nez dans ses cheveux pour cueillir mon infusion : Verveine de Fragonard !
La fraîcheur du matin et le mauvais café à moitié bouilli, si ce n’est les parfums de la nuit, débloquèrent ma célèbre faculté de déduction : 388 99 09 : On avait pensé à septembre année 99 ! Erreur ! J’avais trouvé la combinaison : Dubois avait pris le prénom de sa femme ! Christine, c’était la clé : premier chiffre : 3 ou C, deuxième chiffre : 8 ou h, troisième 8 pour dix-huit c’est le r, quatrième 9 pour le i, cinquième 9 pour dix-neuf c’est le s, sixième 0 pour le vingt et le t, à nouveau 9 pour l’autre i, et arrivent les deux chiffres manquants : les deux dernières lettres du prénom ; 4 pour quatorze et n, puis, 5 pour le e.
–Les sept premiers donnent la façon pour trouver les derniers, j’ai toujours été fort pour les rébus et là, dans le coffre, on va trouver le carnet vert !
–Bravo ! fit Christine en déposant dans l’euphorie un baiser baveux sur ma joue. Ouvrons-le !
La porte du coffre s’ouvrit mais nous n’étions pas au bout de la surprise : au moment où les doigts de Christine se refermaient sur le carnet, un homme casqué fit irruption dans la pièce avec dans la main un automatique prêt à tirer, le bras tendu, le doigt sur la gâchette, il menaça la veuve :
–Si vous ouvrez ce carnet une fois, vous êtes morte ! Et vous, le Marseillais, emmenez-là, filez sans attendre, une fois, c’est votre dernière chance ! »
Le gaillard portait un casque intégral noir mais ses cheveux bouclés qui dépassaient, son accent et sa corpulence ne trompaient pas, c’était le Belge du restaurant…
Il se saisit du carnet en bousculant la femme et sauta par la fenêtre… Il prit une moto qui l’attendait plus loin. On entendit des coups de feu ! Je poussai Christine loin des fenêtres et me serrai contre elle pour la protéger ; le parfum léger de l’infusion qui se frayait un chemin dans mes narines me fit dériver et l’entité m’échappa et l’embrassa sur la bouche : elle tremblait. Je la frictionnais en la serrant dans la couverture ;
« Pas d’engatse ! C’est que je suis content que vous soyez toujours vivante ! »
La voiture était prête pour le départ. Cette fois, il ne restait qu’à disparaître avant que des agents secrets nous tombent sur le dos. Elle s’était rhabillée mais avait cassé sa sandale dans la précipitation et la peur ! Je jetai l’autre dans les buissons ardents !
Elle me toisait en croisant les jambes, pieds nus, les orteils qui se trémoussaient et les pouces dans les poches, l’air de dire ; « Et maintenant ?»
Je m’avançais et la prenais dans mes bras pour la porter à la voiture. C’était une fausse maigre ! Nous prîmes alors la route du retour.
Elle plaça ses pieds croisés sur le tableau de bord pour les chauffer au soleil. D’un œil discret, l’autre moi regarda les orteils aux ongles blancs danser derrière le pare-brise, mais je devais me concentrer sur les virages qui allaient se présenter. Le moteur démarra bruyamment effrayant quelques moineaux.
Au milieu de la descente, j’aperçus un attroupement au bord de la route : un accident !
Des badauds criaient en faisant des signes.
Un mort en bas dans le fossé gisait avec une moto…
J’arrêtai le moteur un peu plus loin et descendit seul, à pieds, voir de plus près. C’était bien le Belge. Il avait sans doute raté le virage dans sa précipitation : un pneu éclaté, ce pouvait aussi être une balle… Et bien sûr le carnet avait disparu comme par hasard !
Je remontais rapidement en pensant à Christine, le secret semait la mort sur son passage ; il valait mieux ne pas traîner. Je repris le volant et lui dit ce que j’avais constaté… Elle ne répondit pas. Elle s’était assoupie… Elle avait dû mal dormir dans sa couverture durant la nuit et elle récupérait ; décidément, elle dormait bien en voiture !
J’étais inquiet mais la route se passa sans encombre jusqu’à Marseille. Quand j’arrêtai le véhicule pour lui parler, elle ne bougeait toujours pas… Je m’inquiétais de plus en plus et me mis à la secouer. Elle tomba sur moi…
Aucune trace de coup, de balle, rien, elle avait les yeux fermés comme une belle endormie mais son cœur demeurait inerte. Un médecin la déshabilla complètement, exhibant son corps froid à la lumière d’une lampe et confirma la mort qui devait remonter au moment où on s’était arrêté au bord de la route ; elle n’avait qu’une seule marque sur le corps, une piqûre au bras droit qu’il me montra l’avait tuée sans bruit en provoquant une crise cardiaque : un des badauds ?
Il la recouvrit d’un drap blanc et bientôt je ne vis plus que ses pieds tout raides. J’ai fait glisser l’anneau de son orteil et l’ai glissé dans ma poche. Les gens de la morgue me donnèrent ses affaires. Je ramassais avec le tee-shirt et le pantalon, un peu d’argent, et surtout un bout de papier plié en quatre où elle avait écrit : carnet vert : attentat politique : secret d’état. Doute ou explication, qui sait ?
Quand j’ai remis le bout de papier à mon amie, Cathy Scrivat, la Julie Lescaut de Marseille, elle m’a dit que je m’étais encore mis dans l’embarras, et qu’elle allait essayer de m’éviter des ennuis avec la justice. Le carnet insaisissable a gardé son mystère et le squelette à la faux a emporté la jolie Christine ; quel dommage ! Quel gâchis ! Finalement, elle me plaisait bien ! J’ai encore en tête l’image de ses pieds émergeant du drap blanc. Pauvre fille ! Elle n’a pas pu profiter de sa vie !
Quand j’y pense, deux larmes dégringolent en même temps sur mes joues mal rasées. Quelquefois, je me demande encore si quelqu’un ne va pas apparaître, un jour, pour achever la liste des témoins éliminés mais que sais-je sur ce carnet, moi ? Je ne l’ai jamais ouvert…
Chut ! C’est un secret !
- § le film de Luc Besson
«-Eh ! Oh ! T'es pas de Marseille, toi ? T'as pas ‘’l'assent’’, figure de poulpe ? Tu joues Plus belle la vie ou quoi ? »
Ouais, c'était ainsi, depuis la détonation, je n'avais plus l'accent marseillais, je ne savais pas pourquoi. Et pourtant je vivais toujours dans Marseille, entre les cafés du port et la grande Canebière.
Détective, ce n’était pas un boulot qui me convenait, j’avais bien failli y laisser ma peau !
Quand vous entendez l’arme avec laquelle on vous braque qui pète entre vos oreilles, pendant un instant vous vous croyez mort, vous vous attendez à voir des anges sur un velours cotonneux au bout d’un tunnel luminescent et vous n’apercevez que la gueule d’un flic même pas féminin qui vous demande si ça va pendant que l’agresseur roule sur le sol abattu juste une fraction de seconde avant qu’il ne vous occise vous-même.
Plus de peur que de mal, en principe, parce que ce coup-là avait réveillé quelque entité dormant profondément ; une sorte d’« alien », un œuf mal couvé me « bouffait » les entrailles ! C’est à dire que tout remuait au fond de moi mais ce n’était qu’en présence des troubles que je commençais à m’en rendre compte…
«-Eh ! Mon beau, tu fouilles les poubelles, Tu es chercheur d'or ou quoi ?
-Non, je cherche mon accent, dès fois qu’on l’ait foutu là ! »
Bien sûr, on peut se demander ce que je cherchais dans les décombres de cette demeure abandonnée mais j'avais mes raisons. C’était une maison de mon enfance située assez loin du centre dans l’ancienne campagne marseillaise du côté de Saint Tronc ; j’avais l’impression d’avoir habité là mais la dame qui m’accompagnait partout ce n’était pas ma mère : m’avait-on changé de mère ?
On allait détruire cette immense maison en vente. Personne ne l’achetait. Une construction d’époque démodée ; le maire la récupèrerait sûrement dans un projet de lotissement ; dix logements sociaux, au moins, bâtis rapidement sur le terrain, mettraient la mairie en accord avec les pouvoirs suprêmes. Ce n'était certes pas l'accent que j’y cherchais, mais la cause de sa perte, c’était un peu moi, mon passé, ce personnage qui m'échappait.
Je ne me reconnaissais plus dans le miroir, mon image se déformait et je voyais un inconnu : un autre moi, ahuri, penaud. Je parlais avec une étrange voix caverneuse pareille à celle d’une extinction naissante: une voix d’outre-tombe !
Je voyais à mon poignet une superbe montre indiquant toujours la même heure : quatre heures ou peut-être seize. On l’aurait dit figée à cette heure-là et, peu à peu, je devenais sûr de l’avoir portée…
Je ne parvenais plus à me maîtriser. Mon cerveau semblait ne plus vouloir accepter cette personnalité. On m'avait dit que je devais avoir une tumeur ou alors un décalage quelconque dans le cervelet et que je devenais « fou ». Mais fou, cela ne veut rien dire! On n'a qu'à lire le Horla de Maupassant, je ne vais pas répéter ce qu'il a si bien dit. Il existe des gens qui reçoivent des ondes et prévoient l’avenir à la manière de Nostradamus, mais, dans mon cas, je pensais que les ondes remuaient à l’intérieur de moi et je n’étais pas sûr de capter quelque chose…
Pourtant, devant ce miroir transformé en glace déformante de foire, je voyais mon front s'ouvrir à l’instar d’une pastèque et une espèce de scarabée noir en sortait dans un flot de sang, patte après patte, m’inondant le visage de manière menstruelle.
Rouge, cette couleur m’avait toujours impressionné. Je voyais aussi d’énormes cloques brillantes se gonfler sous la peau de mes bras et entre mes jambes laissant penser que je brûlais par l’intérieur, tout mon corps en révolte semblait ensuite vouloir rétrécir.
Je me réveillai en sueur, pourtant, je dormais nu et découvert, entièrement offert aux caresses des déesses de Morphée. Mais en guise de caresses, je ressentais d’atroces douleurs pareilles à des piqûres d’aiguille. Du reste, je dormais de moins en moins.
J'allais et je venais dans des endroits que je croyais connaître et je ne pensais pourtant pas y être allé auparavant. Depuis ce coup de feu tiré tout près de ma tête qui m'avait tordu l'esprit, je parlais avec un fantôme, je croisais un petit garçon inconnu qui voulait montrer quelque chose que je ne voyais pas.
Et c’est en le suivant que je m’étais perdu pour la première fois dans Marseille, le comble : un marseillais perdu dans sa ville ! J’étais arrivé sans savoir comment sur une voie coupée par les travaux du nouveau tramway dans ce vieux quartier que je ne reconnaissais plus.
En fait, il montrait du doigt une direction et c’était celle de cette maison vide.
En fouillant les photos dans le coffret de ma mère j’avais tressailli, profondément mal à l’aise quand j’avais vu cette image où j’avais la même montre au poignet et j’étais à côté d’un petit garçon vêtu comme on m’habillait à l’époque. Quand j’avais questionné ma mère, bien des années avant, elle avait dit qu’on avait échangé nos tenues par jeu et ce camarade de jeu avait eu plus tard un accident. Maintenant, je voyais ma mère me parler, toute proche de moi, et je savais qu’elle n’était plus. Et ces photos insignifiantes alors prenaient une valeur inestimable, il me fallait les retrouver car j’avais soudain une impression insupportable : ce petit gars aux cheveux bruns que je croisais, était celui de la photographie. Et ce gamin fuyant devant moi, glissant entre les voitures tel un fantôme, qu’avait-il à voir avec le bonhomme de cinquante ans que j’étais devenu ?
La nuit, il habitait mes cauchemars avec une traînée de sang imitant une source coulant de son cuir chevelu. Etait-il en danger ou réclamait-il une vengeance ? Quel rapport pouvait-il avoir avec moi, avec ma mère ? Et s’il avait eu un accident… De toutes façons, il aurait grandi aussi…
Au bar de « Tonton », j’aidais quelquefois le service mais j’avais du mal à imprimer ce que j’entendais ; plus de pression pour servir le demi-pêche, reste qu’à utiliser Kronenbourg, la marque qu’on accolait à mes abdos mais je n’en avais rien à cirer sauf peut-être mes ‘’pauvres pompes’’ que je ne « reluisais » justement jamais. Dans ma tête maintenant flottait un doute qui mettait en péril mon futur à cause de mon passé. C’était curieux, on eut dit que je rêvais éveillé, je voyais des objets en or qui me paraissaient familiers et cette maison que j’avais fouillée, j’étais sûr d’y avoir vécu enfant ! J’y entrais comme dans un temple.
Au moment de servir un client, j’eus un malaise et lâchai mon plateau. « Tonton » s’en apercevant était accouru afin de me soutenir. Une fois assis, je le vis me servir un pastaga bien tassé afin de me remonter pendant que tous criaient le résultat du match mais les voix me paraissaient très lointaines.
Le pastis, ouais… C’était moi qui étais en plein pastis pratiquement douché par une chute de glaçons qui réveillaient une mémoire enfouie telle une puce électronique vivante prisonnière de la mélasse visqueuse de mon cerveau complexe qu’un choc brutal aurait libérée.
« Tonton » était au courant de tout le passé de la ville dans ma jeunesse. Une vraie commère au masculin avec ses cheveux gris toujours bien peignés et son gros nez paraissant respirer le temps.
C’est lui qui me parla de cet échange d’enfant suite à une erreur de la clinique, incident fâcheux déclaré par la riche propriétaire de cette maison dont justement je parlais.
J'avais sans doute été victime d'une confusion, d'un mélange de bracelets nominatifs à la clinique, un bébé pris à la place d'un autre, puis l'erreur aurait été révélée. Six ans plus tard, les deux petits garçons avaient de nouveau été échangés. Chacun des deux avait repris sa place auprès de sa véritable génitrice. On avait prétendu que ma mère ainsi n'était pas celle qui m'avait fait naître et on avait retrouvé plus tard l'autre garçon mort, la tête éclatée par une explosion, méconnaissable, et à cette époque-là, les tests ADN n'existaient pas.
Qui était le fils de qui ? J’avais des doutes… D’énormes frissons rampant dans mon dos torturaient mon âme.
Je me demandais encore si j'avais tué l'autre pour rester l'unique fils de ma mère, enfin de celle que j'avais toujours considérée ma mère. Je me moquais de savoir qui était mon vrai père et je n'aimais pas son mari. Je ne sais pas s'il s'agissait d'un complexe d’Oedipe ou simplement d'un amour filial exacerbé envers une femme qui m'avait toujours soutenu. Si elle n'était pas ma vraie mère, elle avait toujours paru être celle que je voulais et je ne tenais pas à en changer, ni à six ans, ni après.
Cependant, maintenant, debout devant sa tombe, je regardais cette pierre froide recouvrant son cercueil en chêne qui devait déjà se ternir sous la terre. Je me rappelais quand on avait jeté sur le bois encore neuf une rose saluant son départ. J’allais mener à bien cette enquête vitale : je devais me prouver qu’elle était bien ma mère.
Une manigance, tout était issu d’un plan. Les parents voulaient sauver cet enfant : la filiation l’avait condamné en le mettant à la tête d'un empire qui avait déjà coûté la vie à son père, certaines « magouilles » dépassent la compréhension du simple citoyen. Et ma mère s'y était laissé prendre un instant, acceptant ce qui paraissait être une évidence mais elle s'était vite reprise d’instinct et m'avait récupéré sous le futile prétexte de nous laisser jouer ensemble. Évidemment, j'avais voulu profiter de ce moment à durée indéterminée pendant lequel j'étais encore auprès de ma mère évitant de retourner vers l'autre cette veuve inconnue qui me réclamait. Je dois avouer que pendant un moment le fait de ne plus supporter mon père m'avait tenté. De plus, chez l'autre, la fausse mère qui regardait toujours de droite à gauche paraissant traquée, j'étais dans un milieu beaucoup plus aisé, dois-je dire beaucoup plus riche, j'avais des jouets que mes vrais parents n'auraient pas pu payer et une vie beaucoup plus belle en apparence car j'ignorais le danger qui planait au-dessus de ma tête. Je ne savais pas encore que le profit pourrissait le monde.
L’héritier d'un empire constitué d'usines et des magasins doit certainement faire face à des tas de choses que j'ignorais encore mais celle qui prédominait dans la situation était la cupidité et la jalousie d'un parent voulant à tout prix éliminer cet héritier, justement. L’accident qui avait éliminé le père n'ayant pas suffi à lui assurer l'héritage, la mère n'avait trouvé que le moyen d'échanger les enfants afin de sauver son fils, en me condamnant moi, né le même jour. La faille dans son plan, c'était le sixième sens maternel qui ne s'était pas vraiment laissé tromper. C’était l’instinct maternel, le pouvoir magique du cordon ombilical d’accord mais pourquoi l’autre avait-elle accepté, un remord ?
Et c'est ce jour-là, celui de la première détonation qui a troublé mon esprit, ce jour, j'ai vu tomber mon compagnon de jeu, celui qui avait pris ma place auprès de ma mère, véritablement abattu par la balle qu’on me destinait pour lui. L'erreur du tueur avait justement éliminé la véritable cible : en jouant nous avions échangé nos vêtements et je repris ainsi mon identité en croyant être l'autre. Cette journée-là a valu à l'instigateur d'être arrêté par la police et à ma fausse mère de rester une veuve éplorée au lieu d'épouser son beau-frère. Elle n'est jamais revenue sur l'échange : elle a essayé de me récupérer puis sans doute a abandonné en pensant que je serai plus en sécurité dans les bras de celle qui avait su me protéger mieux qu'elle.
Mon enquête trouble m’a amené jusqu’à la mère de mes rêves dorés. Devant moi, la vieille dame, appuyée sur sa canne, contracta un instant son chapelet de rides en comprenant qui j’étais ; peut-être avait-elle reconnu mon regard, il n’a pas changé depuis mon enfance et certains ont dit que j’avais de remarquables yeux à peindre. Je la vis s’asseoir lourdement dans son fauteuil de rotin me rappelant celui d’un film érotique vu à la fin des seventies. Mais, j’avais de peine à reconnaître cette jolie dame apeurée qui m’avait embrassé dans mon enfance. Le temps finit par avilir même ceux que l’argent paraissait protéger. Une seule chose emplissait mes narines d’une senteur frêle de souvenir olfactif : son vieux parfum. Je le reconnaissais entre mille depuis longtemps ; le préféré des stars de ma jeunesse, celui de Marilyn : numéro cinq de Channel. Elle crispa son visage creusé aidant à remonter des mots peinant autant à sortir qu’elle à marcher et j’entendis dans un ton rauque ce manque d’accent rendant son langage pointu et fortuné :
« -Oui, bien sûr, tu n’étais pas mon fils, j’ai menti, il n’y avait pas eu d’échange à la clinique, j’avais soudoyé un témoin et obtenu cet affreux certificat me séparant de mon vrai fils et j’ai été punie, le destin a tout de même atteint mon fils, coupable seulement d’être l’héritier. Mais qui aurait pu prévoir que vous échangeriez vos vêtements : un simple jeu d’enfant ! »
Bien sûr, après cela, je ne servais plus à rien dans la peau de l’héritier en question : on m’avait enlevé ma montre en argent, mon bracelet en or et rendu à ma pauvre mère. Je me souvenais maintenant nettement de ce chasseur étrange hors des bois qui était venu tirer là, près de la cabane des jouets au fond du jardin. Il devait me tuer et par la confusion due aux beaux habits que je ne portais pas, il a descendu sans le savoir sa véritable cible humaine.
Ainsi, c'était presque un accident, un simple changement de vêtements lors d'un retour provisoire, par la suite devenu définitif ! Maintenant, je sais tout. La détonation m'avait simplement renvoyé dans cette période d'enfance qui représentait dans ma tête un trou noir.
J’avais ressenti cette détonation exactement comme la première fois, on abattait quelqu’un près de moi, à ma place ! J’avais chaque fois vu tomber l’autre, pareil à une fleur à laquelle on a coupé la tige. Lui ou moi, en fait, sur l’instant je ne savais plus qui était mort ! Lui et moi, en fait, puisque j’étais lui et à ce moment-là, il était moi ! Alors, j’étais retourné chez ma mère croyant être l’un des deux, gardant quelque part dans un inconscient de gamin un sentiment de culpabilité berçant mon incompréhension puisque je lui avais passé ma veste et mon pantalon. Celle qui se disait ma mère s’était trahie…Elle avait couru vers lui déjà au sol sans se soucier de moi qui pleurais en silence. Et je suis retourné vers ma vraie mère d’instinct cherchant à me blottir dans ses bras. L’autre ne voulait plus de moi, j’avais gâché son plan et son fils était mort à ma place.
Ma silhouette ne tremble plus, je vois mon ombre sur ta tombe, Maman. Je suis moi-même, là, une fois de plus, dans ce cimetière, mais maintenant j’ai l'âme en paix. Je sais qui je suis. J'ai retrouvé mon accent. Oh ! Fan de chiche, c'est pas que cela ait une grande importance mais je crois que ça dénote une certaine tranquillité d'esprit. Et tu seras toujours ma mère, puisque cet échange n'était qu'une apparence et que je ne suis pas coupable de la disparition de l'autre, même si un temps j’ai pris sa place. J’ai failli être l’héritier, tu parles ! S’il faut se terrer pour profiter d’un tas de « fric », non, j’aime mieux un pastis et un plateau de coquillages, dégustés tranquille, « cool » comme ils disent. C’était trouble dans ma mémoire de gamin : on dit qu’on n’a de souvenirs qu’au-delà de sept ans pourtant je me rappelais très bien la maison où je n’ai pas grandi et le visage de ma fausse maman, c’est au contraire après mes six ans que se creusait un trou noir, un effacement en quelque sorte entre deux détonations !
J’ai racheté sa maison en ruine, on n’en fera pas un lotissement : aujourd'hui, c'est la mienne. Et quand je tape sur ma vieille machine d’un autre temps pour écrire cette histoire dans ces lieux et payer mon crédit, j’ai l’impression qu’« il » est à côté de moi, un pansement à la tête, et qu’« il » corrige ma frappe : il ne m’en veut plus de l’avoir oublié quelques années, mixé dans la silhouette de ma propre image.
Bon maintenant, je vais te laisser reposer en paix, j’ai l’ouïe qui s’est affinée dans cette aventure, j’entends au loin, du côté du port, le murmure du pastaga dans l’eau glacée.
Frank Zorra
La femme que… tuer !
Je la vois encore… Elle nage dans mon verre…
Elle était là face à moi avec son regard d’acier qui me glaçait sur place : jamais une femme ne m’avait fait cet effet-là avant. D’habitude, j’ouvrais mon cœur d’artichaut à chaque dame pour mieux la respirer profondément… J’avais une sorte de nausée à son fumet, un malaise mais il me fallait réagir : comprenez, c’était l’une ou l’autre ! Elle ou Gina !
Dans mon enfance, je pensais qu'une femme était toujours gentille telle ma maman, qu’elle ne pouvait pas tuer ; pour moi les hommes étaient les méchants, à l’image de mon père qui la battait quelquefois.
Tout cela jusqu'à ma rencontre avec « Margarete », oui, Margaret comme Thatcher mais elle s'appelait Levanthal, plus connue sous le nom de « la directrice »
. Directrice d'école ?
Peut-être, dans son jeune âge l'avait-elle été, mais, sous couvert d’affaires, elle dirigeait un réseau de tueurs à gages : l'entreprise.
Une boîte à gros budget : si un haut placé, un maire, un préfet, un PDG, trouvait quelqu'un gênant, il devait disparaître dans les meilleurs délais, on prévoyait un contrat avec la directrice et elle envoyait un effaceur...
Les nettoyeurs, une équipe de tueurs super entraînés, froids et méthodiques, ne rataient jamais leur cible. Mais eux, étaient les machines, le cerveau machiavélique, c’était la directrice. Elle décidait la mort des gêneurs pour l'argent ; pas de l’argent de poche, beaucoup de gros billets !
Elle aimait les belles robes, les sous-vêtements de luxe très chers, de marque... Peu de tissu mais hors de prix, pour pavaner ses formes siliconées de cinquante ans devant des gamins de douze à treize ans à qui elle offrait des bonbons drogués avant de leur faire découvrir ce qui pourrait être un bonheur s’ils le rencontraient quelques années plus tard avec des gamines de leur âge.
D'autres bien plus haut placés le faisaient aussi, aplanissant ainsi ses problèmes de conscience derrière une façade honorable qui condamne, bien sûr, la pédophilie commise par les désargentés ; eux n'ont pas le droit, ces désaxés ! Suivant que vous serez puissants ou misérables… C’est, je crois, un vers de La Fontaine mais dans ma pomme le ver c’est elle, la directrice ! Dire qu’on peut voir pareille chose sous notre soleil ! Et oui, même à Marseille !
Et moi, j’étais dans cette galère, esque accrochée à une palangrotte au nord des quartiers nord, sans arme ou presque, face à un réseau qui visait Gina… mon ex-femme ! Bien sûr, ex signifie que cela ne me concernait plus ! À cause de cette particule, ma fille m’est pratiquement inconnue... Et alors ? Devais-je pour cela lui laisser enlever son seul parent par une autre femme qui ne mériterait pas de manger le contenu de la cuvette sur laquelle on s'assoit ?
Fan de chichourlo ! Je ne suis pas juge ! Je m'appelle Zorra, Frank Zorra, comme Zorro mais avec un a, la première lettre de l’alphabet des enfants, mais c'est peut-être toute la différence: Le masque noir, le cheval blanc, à cause de cela je plongeais dans la m… pour la tirer de là. Ne me dites surtout pas que c'est parce que je l'aime encore; je ne veux pas le savoir ! J’ai aimé une autre depuis et pour couronner le tout c'était un « flic » ! Alors, restait... Comment ôter la cible au tueur sans se transformer en passoire?
Je venais d’avoir l'idée de génie qui devait me permettre d’en sortir vivant : une trouvaille !
Impossible ? Vous m’escagassez. Impossible, ce n'est pas marseillais ! Et puis j’ai été « poulet » dans une autre vie alors les magouilles, c’était mon blé cassé, j’ai le flair ; regardez mon nez ; ils n’ont pas le même chez Fragonard, un peu plus et je rendais jaloux Croquignol ou Cyrano !
Gina ? Au moment où je l'ai revue, j'ai tremblé, des frissons partout : l’excitation négative. J'ai bu pour m'encourager deux ou trois « jaunes » bien tassés. Le principe était une exécution. Une rafale devait l’abattre dans un parking... Allez savoir pourquoi, dans quelle mélasse, elle avait « foutu » ses petits pieds mais de toutes façons la cause n’aurait rien changé à l’effet. Il fallait sauver sa tête !
Malgré mes efforts pour l’écarter du danger, elle n’a bien sûr pas voulu m’écouter, ils ont réussi à la capturer. Mais j'avais mon plan. Je les avais suivis, jour après jour. Je me suis procuré la même voiture qu’eux et j'ai échangé les plaques d'immatriculation pour avoir les mêmes. J'ai ressorti mon vieux fusil à lunette après ses années de silence et j'ai visé les pneus lentement, inexorablement jusqu’à l’éclatement.
Quand le véhicule s’est raccourci dans un muret, les tôles disloquées, je me suis précipité et je l'ai aidée à sortir du coffre de la voiture où on l’avait enfermée, une cagoule noire sur la tête à l’instar des sorcières du temps jadis.
Pendant que la « bagnole » prenait feu, dévorant son contenu, j'ai ôté cet oripeau, elle s'est jetée dans mes bras, les deux siens autour de mon cou : j'ai cru rajeunir de vingt ans. J'avais déjà vécu cet instant dans une autre vie, du temps où elle et moi signifiait passion et non pas souvenir… Il existe un instant qui peut paraître un siècle.
Mais j'avais vieilli depuis, j'avais pris du ventre et quelques cheveux gris tandis qu’elle était toujours aussi belle ! La splendeur des roses de bois ne fane jamais pourtant les rêves finissent toujours dans un café noir. On ne chevauchait plus le même nuage, ni la même image, j'ai respiré ses cheveux, un effluve d'une marque que je ne nommerai pas, par discrétion, moi, je l'appellerai simplement senteur du passé. Une fleur de mémoire ! J’en ai pris un plein nez, une rasade pour vingt autres années dans les parfums de Marseille, et, quand sa silhouette s'est découpée sur l'horizon, je ne sais plus l'âge qu'elle avait, les années se mélangeaient dans ma tête.
Combien de fois dit-on « je t'aime » pour tenter une dernière fois de convaincre l’autre avant d'être sûr que c'est fini ? L'espoir n'est souvent qu'illusion et il reste des minutes qui meublent une vie... J'ai l'impression qu’un vol de gouttelettes peut atterrir sur moi, même en plein « cagnard », mais je retiens les sanglots dans les égouts de l'amour.
Quand j'étais petit, on m'avait appris que c'étaient les filles qui devaient pleurer. Alors, c’étaient peut-être les larmes de Margarete que je sentais déferler sur moi en admettant qu'elle en ait eu assez pour coller une lentille de contact.
Gina m'a embrassé, un baiser pointu, « parigo », la bouche en cul de poule, puis elle est partie à moins que je n'aie rêvé car après tout... La réalité n'existe pas ! Disait Brassens. Nous vivons tous par notre inconscient mais peut-être ne le savons-nous pas. C’est pourtant là qu’on s’éclate, qu’on refait le monde, jaune comme un « pastaga ».
Un peu plus tard, coiffé d’une perruque, des lunettes noires sur le nez, revenu vers le centre, j'attendais la directrice à la sortie de son ascenseur. Et voilà le premier contact !
Un coup de crosse l’a salué très fort ! Je ne sais pas si elle a eu le temps de rêver qu’elle était assise sur sa fortune…
Lorsqu'elle est revenue à elle, je l’avais traînée dans ma voiture et elle portait la blouse et les chaussons enlevés à Gina. Curieux : cette dame-là, j’avais pris plaisir à l’habiller.
Elle a crié : l’effet de surprise ! Elle m’a hélé comme le taxi de la dernière chance. Ainsi, on passe d'une femme à l’autre, dans la vie, si facilement. Et pourtant intérieurement, elles laissent toutes des traces si différentes…
Je lui ai répondu :
«-Margarete, t’es au bout du rouleau, ma vieille ! On garde la même mise en scène mais on change de vedette.
-J'ai de l'argent, beaucoup d'argent, je vous enrichirai : laissez-moi, vous n’entendrez plus parler de moi !
-Pas question, c'est l'une ou l'autre ! Ma femme ou celle que…tuer !
Et puis, ce tueur, Madame, vous l'avez payé. Il doit gagner son « fric » ! Alors…
-Salaud ! Ta femme t’a quitté ; tu n’es qu'un sale type, un mauvais mari abandonné...
-Et il y a des jours où je préfère... »
J'ai « scotché » sa grande bouche de requin et enfilé la cagoule noire sans ouverture sur sa tête pour qu’elle se taise. Avec les vêtements enlevés à Gina la confusion pouvait être telle que prévue. Nul n’imaginerait l’élégante directrice dans ce caramantran ! La cible serait au rendez-vous.
J'ai conduit la voiture jusqu'au parking puis j’ai poussé la dame à l’extérieur comme prévu. Les canons brillaient en attente. J'ai entendu une rafale d'exécution. Je revoyais le peloton d'autrefois constitué pour un partisan ou pour un collabo... Elle est tombée lentement jusqu'au sol, une poignée de coquelicots s’ouvrant tous rouges sur la blouse grise. On la retrouvera collée au goudron, pareille à une ordure qui liquéfie sa puanteur et qu'on nettoie avec un balai sur un trottoir. La seule chose qui me gênait : c'était une femme. Elle a chu lentement telle une fleur carnivore dont on a coupé la tige qui vient baver sur la pelouse et elle ne laisse dans mon souvenir que la mort d’une bête sauvage mais aussi l’impression d’avoir fait un carreau comme aux boules : on frappe celle de l’adversaire en laissant la sienne plombée sur le sol et on ne baise pas Fanny… ou Gina ?
Des regrets ? Je n'en ai pas. Sinon, peut-être, de savoir qu'il existe de telles organisations au sein de sociétés. Quelquefois, je me dis que j'ai rêvé. Une femme n'est qu'une mère potentielle et les hommes ne sont pas tous pourris...
Ainsi, tout ce que j'ai raconté n'est que pure imagination. Du roman ? Non, une simple nouvelle. Mais alors, on se place de quel côté ? Entre le sublime et le cauchemar, comment savoir ?
Et là, maintenant, mon « pastaga » et mon plateau de coquillages sur le port, sous l’œil de la bonne mère, est-ce encore un songe ?
Si oui, laissez-moi rêver.
Frank Zorra
Les années 2000
"Je m'appelle Zorra, Frank Zorra, comme Zorro mais avec un a"
C'est avec cette phrase que s'annonce le héros des Parfums de Marseille, une des premières productions de Provence-poésie éditions, présenté l'an dernier au carré des écrivains à Marseille.
Frank Zorra remercie ses admirateurs (ou admiratrices : Erine Lechevalier, Janine Ravel, etc...) et surtout ceux qui comme Chris Bernard ont laissé un commentaire sur Internet pour saluer le murmure du "pastaga" dans l'eau glacée, un remue-méninges signé Frank publié dans les pages Provence-poésie et ceux qui comme Jean-Claude Puletti ont acheté le livre après avoir lu Le carnet vert également dans nos pages ainsi que Denise Biondo qui a réécrit une de ses enquêtes pour en faire: l'enfant qu'on peignait en bleus présenté à plusieurs concours dont celui où il a récolté un prix d'honneur.
Pour faire plaisir à ceux qui passent de la poésie de Danyel Camoin au jargon franco-marseillais de Frank, nous allons publier ci-dessous une autre enquête abracadabrante...
Mais attention cela peut décoiffer...
La vieille dame du palais Longchamp
Le palais Longchamp, château d'eau admirable, source intarissable d’enchantement, ne se décrit plus. C'est un joyau de Marseille. L’escalier m’amène jusqu’aux colonnades encadrant les femmes et les taureaux sculptés dominant les bassins. Monument historique à la gloire d’Espérandieu, il ouvre l’accès au jardin qui jouxte l’ancien zoo dont l’entrée se situait jadis près d’un cinéma de quartier qui proté
Et vouais ! C’est mon côté cinéma, ça.
C'est là que m'avait fixé rendez-vous mon client de manière assez étrange je dois le dire. Habituellement, je recevais à mon bureau près du Vieux-Port.
En attendant mon client je me promenais dans l’allée qui conduisait autrefois auprès des cages du parc zoologique, c'est dans cet environnement que la mairie du cinquième arrondissement distribuait des prix de poésie au mois de mai et un ami à moi, un poète, y avait gagné une coupe pour une fable.
Il n'y avait pas grand monde dans le jardin au soleil ce jour là. J'ai remarqué toutefois une vieille dame tout habillée de noir avec un chapeau et des lunettes qui fouillait son sac d’une manière assez particulière. Je ne sais plus pourquoi cela avait attiré mon attention mais je l'oubliai assez vite en voyant arriver mon client dans son costume de président sans garde du corps, distingué et hautain dans ses chaussures en cuir bruyantes.
Encore un mari jaloux, quoique d'après la photo de sa femme, il y avait de quoi ! Il devait avoir plus de cinquante ans et être bientôt à la retraite : avec sa « pastèque », pardon, son embonpoint et son front dégarni agrippant quelques cheveux blancs, il paraissait plus vieux que moi bien que plus fortuné. Et même à l'heure du Viagra, une épouse de guère plus de vingt ans, cela n'aurait pas dû être permis. En plus, ce n'était pas un boudin !
Elle s’appelait Aurélie à l’instar de la femme du boulanger. Bien sûr, on la soupçonnait d'adultère.
La vieille dame passa près de nous, me dévisageant avec un air guindé en balançant son sac à main.
Après quelques jours de filature d’Aurélie à ma façon, je ne le lui avais trouvé aucun amant et aucun homme ne collait à ses basques sinon moi-même. Alors, que dire de ses absences ? De ces moments où elle fuyait son mari pour s'isoler... Eh bien, ce n'est pas si simple mais la belle était cleptomane ! Mais d’un genre assez particulier parce qu'elle ne volait pas n'importe quoi : elle était particulièrement attirée par les bijoux et pas forcément dans une bijouterie mais dans tous les endroits où on pouvait en trouver à commencer par les grands magasins de la Canebière ou de la rue Saint Férréol, c'est là que je l’avais surprise, toute simple, à peine maquillée, en jeans et baskets, bien sûr, très discrètement et sans rien dire à personne. C'était curieux. On aurait dit qu'elle attendait que je sois là pour agir ; impression idiote, elle ne pouvait pas savoir que je la filais, voyons !
Je n'avais pas à me substituer à la petite police. Il ne s'agissait pas pour moi d'un crime nécessitant d'appeler mon amie la commissaire. Cathy avait d'autres chats à fouetter que de s'occuper de ces petits larcins. Mais que devais-je dire à mon client ?
Je me résignais à simplifier mon rapport et dire simplement qu'elle passait son temps à fouiner dans toutes les boutiques qui pouvaient l’intéresser et notamment celles qui présentaient des colliers ou des bagues. Il pouvait très bien me rétorquer qu'elle avait largement assez d'argent pour s'en acheter et n'avait nul besoin de les voler. Aurais-je eu l'aplomb de soutenir son regard et de lui dire que c'était simplement une cleptomane et non une « cagole » ?
De toutes façons, quand on dit à un mari qu'il n'est pas cornu, il soupire suffisamment pour ne pas chercher trop loin. J'étais là pour gagner de l'argent et il était inutile de continuer une enquête pour découvrir ce qui était déjà découvert. Dommage !
Pourtant à une soirée où j'étais invité par l'officier de police Régine Moineo,¨ une dame, la digne épouse du préfet qui portait un collier de prix le vit soudain disparaître en sortant des toilettes. Elle ameuta tous les invités en criant comme une partisane. Les policiers étant déjà sur place, il était inutile de faire sonner les sirènes : une enquête fut menée sur place, on bloqua toutes les issues empêchant tout le monde de partir sans être contrôlé. Sur le moment, je n'y avais pas prêté attention ayant oublié ma précédente enquête mais il me sembla avoir mémorisé un visage que je connaissais mordillant sa lèvre inférieure épaisse dans un sourire désarmant, celle-ci était en robe de soirée de satin gris somptueusement éclatante avec sa coiffure maintenue par un diadème en argent : une splendide blonde hissée sur des escarpins à lanières, c'est le genre de femme que je remarque toujours même lorsque mon nez n'hume pas leur parfum.
Et réflexion rapide de détective, c'était Aurélie ! Mais je l’avais connue beaucoup plus décontractée. C'était l'épouse de mon client de Longchamp. « Tè», un collier disparu, je pouvais faire le rapprochement ! Seulement là, ce n'était plus dans un magasin et c'était un vol à la tire très particulier au milieu d'une assemblée où on pouvait la remarquer. Il fallait que cette fille soit vraiment une rapide ralliant l'agilité de ses doigts en reflets de la rapidité du coup d’œil mais évidemment avec le regard qu'elle avait... Pauvre détective ! Et là, dans une telle robe sans sous-vêtements pour ne pas me marquer le tissu fin... D'ailleurs, avait-elle besoin de « soutien-balles » avec de pareils obus. Elle était fardée, beaucoup mieux vêtue qu'au début, plus femme tentatrice comme si elle savait que je la suivais...
Évidemment, on ne retrouva pas le collier malgré la fouille de la plupart des personnages suspects sortant de l'immeuble et personne, y compris moi, ne vis sortir Aurélie de là. Je finissais par penser que je m'étais trompé et qu'il ne s'agissait pas d'elle. Un détail pourtant me choqua. La sortie de cet immeuble d'une vieille dame tout habillée en noir portant des lunettes et un sac à main, une vieille dame que j'étais persuadé d'avoir déjà rencontré sans me rappeler bien où. Il est vrai que d'ordinaire mes yeux se portent sur les femmes plus jeunes mais celle-ci exhalait un parfum qui ne m'était pas inconnu et que je ne savais pas définir. Ce n'était pas le genre qui escorte habituellement les grand-mères. Et le clou de l'histoire était une carte de visite épinglée dans le dos de Miss Moineo et portant la signature de A. Lupin. Régine crut à un farceur. Moi, pas.
Quelques jours plus tard, eu lieu un vol à la banque, ce n'était pas un cambriolage ordinaire mais une jeune dame venue acheter une bague avait dérobé une parure de grande valeur et l'établissement déposait une plainte qui engageait la police à lancer un avis de recherche. Or le signalement correspondait à Aurélie. Étant un peu concerné puisque l'on rapprochait ce vol de la farce faite à Régine, je menais une enquête discrète et malheureusement gratuite pour vérifier l'emploi du temps de Mme Aurélie. Je ne dis pas que j'y prenais quelques plaisirs à suivre le balancement de ses hanches quelque peu convexes hissées sur talons qui conduisaient dans les endroits les plus divers mais c'est encore plus beau lorsque c'est inutile. J'avais cependant, comme on dit, l'impression de me faire pigeonner.
On trouva encore plusieurs fois cette carte signée A. Lupin. Une fois encore le bâtiment cerné ne permit pas de prendre la coupable. Mais, cette fois, la présence de la petite dame en noir m'intrigua beaucoup plus que la fois précédente…
Peu après, je liais connaissance avec Mamé Rose, c'est ainsi qu'elle me demanda de l’appeler : « Moi, c’est Zorra, Frank Zorra, comme Zorro mais avec un a, me présentai-je mais elle me disait : « mon gàrri », tu parles d’un surnom ! J'étais sûr qu'elle avait un lien avec les vols, peut-être une parenté avec Aurélie, une lointaine ressemblance car l’aïeule toute voûtée derrière ces grosses lunettes n'avait pas le chic de la femme de mon client pour attirer le regard mais elle se mordillait la lèvre inférieure quand elle souriait. Faire accuser « Mamé » n'était pas évident !
Le dernier vol tourna très mal. Un des policiers fut tué. Cathy Scrivat intervint : elle se moquait de la cleptomane mais dans cette affaire, il y avait un mort ! Et cela changeait tout pour la commissaire. J'avais fait ami-amie avec Mamé Rose et, peu à peu, j'avais percé le secret : « L'âge, Madame, que nous importe ! » En fait, Mamé et Aurélie ne faisait qu'une ! Un déguisement super ! Une sorte d'armure souple lui permettait en peu de temps de revêtir la panoplie de la vieille et sa souplesse naturelle lui permettait de se voûter et de disparaître sous son masque de rides derrière ses lunettes. Et moi j'avais démasqué Aurélie en me rappelant de ce qui m'avait marqué dans le palais Longchamp : la vieille manipulait dans son sac des bijoux ! C'était ce détail que je cherchais dans ma mémoire qui sortait enfin de son trou ; voilà l’œil du détective !
Je reçus une carte de visite sur laquelle on avait écrit : « Les Lupin ne tuent jamais ! Je n'ai pas tué. C'est le deuxième le flic qui a tué son copain parce qu’il couchait avec sa femme, profitant du feu de l’action pour régler ses comptes… »
J'ai tendu un piège à Aurélie. Un bijou auquel elle ne pouvait pas résister et là, je l’ai démasquée : plus question de rentrer dans la peau de la petite vieille pour s'échapper. Je l'ai attrapée par le cou, l’arme à la main, mais elle n'opposait aucune résistance. J'ai glissé l'engin inutile dans la poche de ma veste. Elle s'est approchée tendrement de moi. Elle a posé ses lèvres sur les miennes et discrètement usant de son talent de subtilisation, elle a tiré de ma poche mon arme et l’a braquée sur moi. J'ai crié :
« Si tu me descends, ce sera pire pour toi, ils penseront tous que tu as tué le policier. »
Elle a posé l’arme en marmonnant : « les Lupin ne tuent jamais ! »
Je lui demandais quel rapport entre elle et Lupin, le personnage de roman. Elle m'a dit que son nom de jeune fille était bien Lupin, d’autre part Aurélie commence bien par un A comme Arsène, la suite était facile à comprendre.
Je me suis approché d'elle et j'ai respiré J’adore de Dior, le parfum qui transpirait sur Mamé Rose ! Grossière erreur ! Je me suis senti bizarre comme drogué. Elle a souri… Elle m'a embrassé. Un coup de la langue est bien pire qu’un coup de lance ! Jusqu’à en faire frissonner les poils de ma moustache.
Les policiers frappaient à la porte. Je n'avais qu'à leur ouvrir et c'en était fait de la voleuse d'autant que je la tenais dans mes bras par les épaules, sa grosse lèvre collée à la mienne, mais je l'ai lâchée lentement comme lorsqu'on sort de rêve et qu’on le laisse glisser loin de soi en se réveillant. Je n'ai pas ouvert la porte. Je l'ai regardée partir... Elle a ouvert la fenêtre, a jeté ses chaussures et s'est glissée par la corniche, pieds nus, jusqu'à l'appartement d'à côté. De tout petits pieds cambrés comme je les aime ! Même en jean, elle avait un charme certain : la cambrure des reins, comme dirait Monsieur Brassens. Dieu sait que je n'aime pas les filles en pantalons mais... Je lui ai laissé le temps de disparaître. Une larme au coin de l’œil, je me léchai les lèvres. Saveurs d'un baiser qui s'enfuyait déjà. Curieux, n'est-ce pas ?
Pourquoi l'avoir laissée filer ? J'entendais déjà la question dans la bouche de Cathy... Et ma réponse évasive :
« L’âge, Madame, quelle importance ! »
Et depuis, quand je traverse le palais Longchamp, on se demande certainement pourquoi j’observe toutes les vieilles dames…
Frank Zorra. Les années 2000
Article Nicole Manday