Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
3 août 2022 3 03 /08 /août /2022 12:10

Aux dernières informations, Provence-poésie transmet :

La nouvelle Eveil à La vie rapporte à la nouvelliste Denise BIONDO le premier prix de la nouvelle à Montélimar.

Texte ci-dessous.

La nouvelle Le carillon du temps écrite par la nouvelliste Geneviève CASABURI (ex-collaboratrice de Frank ZORRA) est à la base de la vidéo jointe où l'on retrouve dans la scène finale un autre ex-adhérent : Michel ISARD ( dans le rôle qu'il a déjà joué jadis dans une petite présentation de cette nouvelle dans l'association).

Une superbe nouvelle qui a fait son chemin en images.

 

Article ouvert aux autres auteurs : FZ

Une ancienne adhérente à l'origine du film : Geneviève Casaburi

 EVEIL à la vie                                                   Denise BIONDO (1er prix de la nouvelle)

 Drôle d'effet de revenir dans la ville où je suis née !

     En pénétrant dans les rues au volant de ma voiture, tout me paraît familier et pourtant étranger. Des détails ont changé : la vitrine du fleuriste, le carrefour où je tourne à droite vers mon chemin, vers ma maison. Ce trajet, je l'ai fait si souvent, enfant, lorsque mon père nous amenait à la Vallée de St Pons pour passer les week-ends au grand air.

Je me gare devant la villa avec ce même sentiment de crainte que j'éprouvais, petite fille. Mais aujourd'hui la différence est de taille : j'ajoute une détermination que rien n'ébranlera.

Je me redresse, forte et sûre de moi.

Le visage d'Eugénie, s'encadre dans la porte, frappé de stupeur.

─ Ça alors ! Natacha !

─ Eh oui, c'est bien moi. Bonjour.

─ Yvette, viens voir : une revenante ! crie-t-elle à sa fille.

Ma demi-sœur apparaît à son tour, et je savoure son expression incrédule. Je bois du petit-lait.

─ Je viens un dimanche midi parce que je connais vos habitudes, j'étais sûre de vous trouver.

─ Tu aurais pu téléphoner pour prévenir…

Après six ans…!

Oh, que non ! C'est par surprise que je voulais débarquer, pour les prendre de court. C'est réussi, je leur en colle un, de choc ! Elles n'ont pas eu le temps de se préparer à me voir et n'ont rien pu élaborer d'avance.

Elles croyaient que je ne reviendrais jamais, cela se lit dans leurs yeux.

─ Tu passais dans le coin, je suppose, risque Yvette.

─ Non. Je suis venue exprès.

    Un instant de flottement comme si elles attendaient que je disparaisse tel un fantôme du passé. Mais non, pas de chance, je suis bien là et j'ai l'intention de m'incruster. Eugénie se lance :

─ On allait se mettre à table… Tu n'as pas déjeuné, Natacha ?

On m'offre une chaise et je m'installe tandis que ma belle-mère, avec des gestes un peu saccadés, rajoute une assiette. Tiens, il y a déjà trois couverts…

Je me demande qui est l'autre convive.

─ Mon mari va arriver d'une minute à l'autre, précise Yvette.

─ Tu es mariée, bravo !

─ Depuis cinq ans. Pas toi ?

Je secoue juste la tête sans répondre. Je n'ai aucune envie de me raconter. Je sens pourtant les questions qu'elles ont sur le bord des lèvres. Elles ne concernent bien sûr pas ma vie, elles s'en fichent que j'habite à Tombouctou ou ailleurs et que je sois RMIste ou PDG. Par-dessus tout, elles se demandent ce que je suis venue faire. C'est cela qui les inquiète.

J'en profite pour faire ressortir mon air déterminé. Histoire de montrer que je n'ai plus rien de commun avec la jeune fille qui a pris la clef des champs, une nuit en cachette, il y a six ans.

Il a été épique, mon départ. Je n'avais rien laissé deviner de mes projets, j'ai fait mon coup en douce. En préparant tous les détails, je jubilais à l'idée de la tête que feraient ma belle-mère et ma demi-sœur en découvrant, au matin, que je m'étais enfuie. Et sans laisser aucune trace permettant de me retrouver.

Je me rappelle encore quel sentiment de libération j'ai éprouvé en sachant que j'allais échapper à cette vie-là.

     À l'époque, je venais d'avoir dix-huit ans et, depuis longtemps, Eugénie ne pouvait plus me priver de dessert ou me laisser sécher sur pieds au coin…

Mais qu'à cela ne tienne, elle avait trouvé d'autres subtilités pour m'humilier, pour me rabaisser et surtout pour entretenir en moi la conviction que je n'étais bonne à rien.

J'en étais tellement convaincue que j'avais beaucoup hésité à prendre le large : une incapable comme moi pouvait-elle s'en sortir seule ?

Et puis, inattendu et plutôt terrifiant, un événement était venu tout changer. À cause de ma grossesse, je m'étais prise en main avec une énergie que je ne soupçonnais même pas en moi. J'avais trouvé la force de partir. J'avais planifié où j'irais, comment et dans quel but.

En franchissant la porte en silence, cette nuit-là, la première bouffée d'air de liberté m'avait tourné la tête.

Et aujourd'hui, assises toutes les trois autour de la table, nous avons conscience de l'étrangeté de la situation. Nous sommes toujours les mêmes : l'ex-compagne de mon père, sa fille d'une première union, et moi laissée seule avec elles deux, suite au décès trop précoce de mon papa.

Mais la vie, en transformant les fillettes d'hier en adultes a modifié les rapports de force. Surtout avec l'air conquérant que j'arbore et qui plombe l'atmosphère. Je vois bien qu'Eugénie en est perturbée.

─ Voilà mon mari, s'écrie Yvette, très contente de cette diversion.

─ Tu vas me le présenter.

─ Oh ! Ce n'est pas la peine. Tu vas voir.

Et je vois, oui. Je vois entrer Stéphane, qui s'arrête net en m'apercevant. Il se décompose. Et pour moi, c'est un choc auquel je ne m'attendais pas.

Passé la première hésitation, on s'embrasse en vieux copains qui se retrouvent, maladroitement.

Ainsi, il a épousé Yvette !

Je suis idiote, j'aurais dû m'en douter. Car après tout, c'était tout à fait dans l'optique d'Eugénie de caser sa fille à un notable du coin. Sa chère petite méritait le meilleur de ce qui pouvait s'offrir à elle.

C'était bien pour cela, parce que je la connaissais par cœur, qu'à l'époque j'avais soigneusement caché ma relation avec Stéphane.

Je n'en reviens pas d'être assise en face de lui. Toute la violence de ma passion de jeune fille renaît et me submerge.

─ Tu vas bien ? me demande-t-il en se donnant l'air de ne pas y attacher trop d'importance.

J'essaie de me ressaisir, mais c'est dur avec ses yeux qui m'observent, aussi bouleversants que par le passé.

─ Ce vin me donne chaud, dis-je en me levant pour échapper un moment à ses regards.

Et, je rejoins Eugénie dans la cuisine.

─ Que viens-tu chercher chez nous Natacha ?

Je ne m'attendais pas à une question aussi directe, surtout posée avec sa voix d'avant, celle de la belle-mère autoritaire qui me dominait.

─ Qu'est-ce que tu veux ? insiste-t-elle en se dressant face à moi. Tu ressurgis sans crier gare.

       Elle me scrute.

─ Tu avais drôlement bien préparé ton mauvais coup pour partir. Je me demande encore quand et comment tu as réussi à me voler le collier d'émeraudes de Tante Séverine.

Voilà, le grand mot est lâché. Je savais qu'on en viendrait là tôt ou tard. Tant mieux, je récupère d'un coup toute mon assurance. Je lui décoche un regard provocateur, d'égale à égale, et je la plante là, avec ses questions sans réponse pour retourner dans la salle à manger.

      Entre Stéphane et Yvette, l'humeur ne semble pas être au beau fixe. Une rancœur féroce me gagne contre lui.

─ Alors, vous deux, vous habitez le centre-ville ? Bien. Dans ce cas, on sera appelés à se voir souvent quand je me réinstallerai ici. J'ai l'intention de revenir à Gémenos. C'est la maison de mon enfance, celle de mon père.

─ Mais tu ne peux pas emménager ici, clame Stéphane d'une voix aiguë. J'y habite.

─ Voyons, tu sais très bien que tu n'en as que l'usufruit. Tu as le droit de l'occuper, mais, c'est à moi que cette maison appartient. Elle était à mon père.

─ Tu es venue pour revendiquer ton héritage ! demande Eugénie ? Ce n'est pas beau, ma petite.

─ Ce qui n'est pas beau, belle-maman, c'est de m'avoir volé mon enfance. C'est de m'avoir harcelée et privée de la tendresse à laquelle tous les enfants ont droit.

─ Tu t'es bien vengée quand tu t'es enfuie il y a six ans, en me piquant le collier d'émeraudes. Sale voleuse !

           Je les plante là, tous les trois, complètement déboussolés. Hou, cette scène m'a drôlement secouée… Je me dirige vers le jardin… J'ai besoin d'un peu d'air.

            Stéphane soupire, mal dans sa peau. Il me suit discrètement et s'explique :

─ Si tu m'avais fait signe pour me dire où tu étais… Je t'aurais aidée pour l'avortement, tu sais. Je ne t'aurais pas laissé affronter cette épreuve toute seule. J'ai bien compris que c'était pour le payer que tu avais volé le collier.

─ Heureusement pour moi, ce bijou avait beaucoup de valeur. L'argent que j'en ai tiré m'a permis de m'installer, le temps de trouver du travail.

─ Tant mieux. J'étais embêté de te savoir seule, je me demandais comment tu t'en sortirais avec ce fichu problème.

─ Tu parles de ma grossesse ? Il y aurait bien eu une solution à l'époque : on aurait pu se marier !

─ Finalement, dit Stéphane, tu t'en es bien tirée.

─ Nous retournons au salon, le silence se fait d'un coup. Un silence sidéré, stupéfait. Les trois paires d'yeux convergent vers la table où je dépose le collier.

─ Mais… s'exclame Eugénie, c'est lui ! C'est le collier de Tante Séverine.

─ Oui. Vous pourrez le faire expertiser si vous avez le moindre doute. Je ne suis pas une voleuse. Il y a six ans, je ne l'avais pas vendu. Je l'avais gagé au mont-de-piété pour pouvoir commencer une autre vie. Dès que j'ai pu, je l'ai récupéré et le voici.

─ Tu me le rends ?

- Je suis venue pour cela, et uniquement pour cela. Ça n'a pas été facile de trouver le courage de le faire, il m'a fallu du temps, mais je tenais absolument à le rapporter.

       Au fond de moi, j'attendais un élan, des paroles et des gestes de réconciliation. Un accueil, une chaleur qui m'auraient fait du bien. Mais, devant le visage hostile d'Eugénie, et en me retrouvant nez à nez avec la lâcheté de Stéphane, j'ai eu comme une soudaine inspiration : J'ai semé la zizanie en menaçant de m'installer à demeure.

Au fond, rien n'a bougé ici, et je repars avec mes blessures ouvertes.

 

       Dans mon rétroviseur, Gémenos disparaît. J'ai une dernière pensée pour ceux que j'y laisse et qui n'ont pas su accepter l'amour que je voulais leur donner.

Une pensée pour Stéphane qui ne saura jamais que le collier de tante Séverine m'a servi à mettre au monde mon bébé :

" L'enfant qu'il m'a fait, et auquel il aurait refusé le droit de vivre ".

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de Provence-poésie
  • : Présentation de nouvelles, poèmes et livres de Provence-Poésie avec ses auteurs attitrés : Denise BIONDO, Frank ZORRA, Danyel CAMOIN, Emile MIHIERE, Joëlle SOLARI... Infos sur les lectures-spectacles et les autres activités avec collège ou maison de retraite...
  • Contact

Recherche

Liens