d'après la nouvelle de Danyel Camoin prix d'honneur Académie de Provence
(Un vieux monsieur s'assoit face à une dame)
- Vous comprenez, 83 ans, c’est l’hiver permanent : une fin de vie ! Mais, depuis 40 ans une seule chose me tient à coeur : c'est le roman qui révèle mon épouse : elle est là, splendide, dans les pages, et justement, depuis que je vous ai rencontrée, je ne pense qu’à vous. Aujourd'hui, ce rendez-vous avec vous… Vous comprenez, c'est merveilleux, une éditrice qui s'intéresse à mon oeuvre… Non, je ne suis pas venu pour draguer, ce n'est plus de mon âge, j'ai l'impression d'ailleurs que mon âme est morte depuis qu'elle est partie, qu'elle l’a emportée.
- Mais cela fait plusieurs fois qu'on se voit maintenant nous sommes devenus de vieux amis.
- Vous êtes trop jeune et puis trop jolie pour être une vieille amie mais l'important c'est le livre : on va l’éditer ?
- Bien sûr, nous sommes là pour cela mais on peut parler… Parlez-moi d’elle…
- Vous avez raison, il y a si longtemps que je ne parlais qu'à mon chien et cela vous fera rire de savoir qu'il est en peluche.
Marinette, elle avait choisi ce prénom parce qu'elle n'aimait pas le sien. Mais dans le roman, elle s'appelle désormais ainsi. Elle a été fauchée un soir d'automne telle une marguerite sur une route par un chauffard inconscient alors qu'elle avait 42 ans. Quand elle était là, le lit m'emportait avec elle au-delà des nuages sur un souffle de zéphyr. Je perdais toute conscience de ce qui pouvait se passer autour : je découvrais son corps, elle découvrait mon âme : je ne pouvais la tromper qu'avec la solitude, c’est ma compagne muette depuis des années. N'ayant pas les moyens d'un compte d'auteur, ni les capacités d'une auto édition, j'ai traîné mon manuscrit devenu tapuscrit, de maison en maison, de bureau en bureau, revenant finalement, inévitablement, chuter devant son cadre et sa photo. Quelquefois, je mets le couvert comme si mon amour pouvait la ramener… Comme si elle était là ! Et peu à peu je me suis voûté sur ma canne, devant son portrait…
Vient enfin le moment où le soleil paraît différent et ses rayons ne se montrent plus dorés mais presque verts : un zeste de printemps inattendu au milieu de mon immense hiver.
Alors cela va se passer aujourd'hui, mais comment ?
- Vous me confiez le manuscrit et puis vous allez en parler avec un présentateur de télévision. L’interview lancera le bouquin. Éditer coûte cher et il faut prévoir un flot de ventes. Alors, allez vous préparer et montez ensuite sur le podium pour vous exprimer.
(Il se lève pour disparaître derrière le rideau noir et l’éditrice feuillette les pages)
(Un moment après, un présentateur entre et s'adresse à elle)
- Il n'y aura pas d'interview.
Madame, il est tombé en arrivant sur le podium. L’émotion : son cœur a lâché. C'est fini.
Le vieil homme Danyel Camoin
L’éditrice Geneviève Casaburi
Le présentateur Michel Isard
(vers le public)
Il était là-haut, assis sur une petite butte. Seul. Loin des sentiers de marche et de footing.
Ả quelques mètres de lui, en contrebas, sur un petit chemin de terre, j’avançais d’un pas que je voulais tonique. Seule, moi aussi. Avais-je envie de me rapprocher de lui, oui ou non ? Je me suis dit oui et j’y suis allée. Je souriais…
(Vers l’inconnu mais sans tourner le dos au public)
-Bonjour ! Vous devez être surpris de ma venue…
-Mais non, pas du tout.
(Elle s’assied. Un parapluie git dans l’herbe…)
-Aujourd’hui je suis en manque de paroles, de paroles à dire et à recevoir.
-Vous avez remarqué la couleur du ciel ? Le temps…
On a annoncé la pluie !
Vous connaissez le lieu nommé « le Bocage » ? C’est cet espace boisé au cœur du village qui accueille chaque jour des hommes et des femmes soucieux de leur ligne ou de leur santé.
Je suis venu d’Allauch par un raccourci. Je marche tous les jours.
Je vais aussi souvent à Marseille sur le Vieux-Port ou au Parc Borely »
-Je suis surprise de voir combien les mots coulent entre nous simplement pour commenter les actes du quotidien. Moi qui étais venue avec mes interrogations et mon désir de parler, voilà que je suis à votre écoute et que je vous envie ce côté humble, un peu sage. Il me fait du bien.
(Elle l’observe…)
-Je suis marié, ma femme prépare le repas de midi ; elle n’aime pas sortir. Elle préfère la télé.
-Moi, personne ne prépare mon repas d’ailleurs, en ce moment, je perds l’appétit.
-Vous vivez seule ?
-Seule.
(Ils parlent lentement, en respectant des temps de pauses, un peu comme des respirations.)
-J’ai connu la solitude avant mon mariage.
C’était dur, on n’est pas fait pour vivre seul.
-On dirait que vous lisez dans mes pensées.
Et j’empiète peut-être sur votre temps de loisir ; mais égoïstement, je n’ai aucune envie de partir.
(Il sort un paquet de cigarettes de la poche de sa veste et lui en propose une)
-Est-ce que la fumée vous dérange ?
(Elle hoche la tête)
Je n’en fume que dix par jour, c’est dur de s’arrêter.
-Quelle heure est-il ?
-11 h 15. Il ne me faut que vingt minutes pour rentrer chez moi. Souvent posté ici, j’ai repéré les sportifs fidèles, les acharnés… Les habitués.
(Suit un instant de silence…)
-L’heure avance, il me faut tout de même vous quitter… Mon inconnu.
(Ils se lèvent en même temps et se saluent sans se serrer la main)
- Au revoir !
- Bon appétit !
(Elle se tourne et vient lentement vers le public puis dit :)
Mon pas était sans doute plus léger qu’à l’aller. J’étais contente de moi. Je m’étais donnée du plaisir : celui d’être allée vers quelqu’un que je ne connaissais pas. De lui avoir parlé. Un peu. Et d’avoir entendu des mots nouveaux, des mots pleins de douceur.
Je ne l’ai jamais revu.
Elle : Joëlle Foin
L’inconnu : Jean-Claude Colay
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Notre Fanette
d'après Le festin de Fanette d'Henri Mahé
Grand prix de la ville 2013 inspiration libre en Provence
Trois personnages (texte en gros caractères posé sur la table devant fanette)
Le président (vers le public)
- C’est sûr, je m’en souviendrai longtemps, de ce repas corse ! Président de la société nautique j’adorais notre joyeux banquet d’agapes que Fanette, notre cantinière, concluait avec apothéose en nous servant SA spécialité : les fameuses nicci, ces crêpes corses à la farine de châtaigne, cuites aux fers, auxquelles quelque ingrédient secret donnait un inimitable goût sauvage du maquis. Mais alors là, alors là… Je ne la reconnais plus, la Fanette effondrée sur sa chaise. Sans doute à cause de la disparition de ce sacré foutu de Baptiste, là-bas sur l’île natale, une quinzaine de jours plus tôt…
(Il se tourne vers Henri qui arrive près de la table où est Fanette)
- Ah ! Tu tombes bien, toi ! Toi qui es diplomate, parle lui un peu, à la Fanette… Elle est inconsolable !
(Henri s’adresse à Fanette assise)
- Eh bien Fanette ! Qu’est-ce qu’il t’arrive, que je ne t’ai jamais vue comme ça !
(Fanette en reniflant dans un mouchoir)
- Oh, pauvre de Diou ! Me voila bien punie de n’avoir pas été aux obsèques de mon père. C’est qu’il me frappe encore ! C’est la malédiction du Papet ! Je ne peux plus rester ici, devant vous tous. Je dois partir, retourner là-bas, je vais devenir une des veuves noires de l’île !
(Président vers Henri)
- Mais, qu’est-ce qu’on lui a fait boire, à la Fanette ? Est-ce cette brise du sud chargée de la poussière du Sahara, qui nous rend tous aliénés d’un mal mystérieux ?
(Henri vers Fanette)
- Allons Fanette ! Reprends-toi un peu, dis : qu’est-ce que tu me déparles ? Tu n’es pas tombée sur la tête ? Tu as mal quelque part ? Allons Fanette, ce n’est pas bien de dire des choses comme ça à tout le monde ! Allez, zou ! Parle-nous un peu sérieusement !
(Fanette (voix forte)vers le public)
- Ah, Mon Dieu ! C’est Clara qui vient de me téléphoner. Tu sais que tous les ans, elle m’envoie un colis, avec tout ce qu’il faut de bon pour cuisiner le repas corse. Elle m’a demandé si je l’avais bien reçu à temps, et, dans la confusion de la mort du Papet, elle s’est excusée d’avoir oublié d’y mettre la pisticcina, la farine de châtaigne pour les nicci.
(Henri à demi vers le public)
- Allons, Fanette ! Paix à son âme, au Papet ! Mais que tu n’ais pas eu la farine de châtaigne pour les nicci, ce n’est pas si grave, tu sais : elles étaient excellentes, et ça ne vaut pas la peine de se mettre dans des états pareils !
(Fanette en triturant la serviette en papier)
- Ah, tu sais, le Papet, il m’avait chassée. Mais c’était quand même mon père ! Alors, j’avais quand même de la peine, j’étais comme qui dirait un peu confuse, tu comprends, et avec tout ce travail de cuisine, alors, moi, dans cette jolie boîte, j’ai pensé que c’était la farine de châtaigne. Et, quand Clara m’a demandé si j’avais bien reçu le reliquaire avec les cendres du Baptiste, l’air m’a manqué ! Et voilà que je meurs de honte devant vous tous…
(Le président en remuant les bras)
- Ah ! Je comprends !
( avançant vers le public)
Il a été bien puni de sa méchanceté… Et voilà qu’avec les nicci, elle nous a servi le Papet !
Elle nous a fait manger le Baptiste… !
Fanette : Béatrice Saussol
Henri : Henri Mahé
Le président : Danyel Camoin
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