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9 avril 2014 3 09 /04 /avril /2014 10:51

 

Pp a donné carte blanche à Joëlle Foin pour animer l'atelier de Provence-poésie Aubagne tout en laissant la possibilité aux intéressés de rejoindre Danyel Camoin à 18h30 en deuxième partie pour des notions particulières sur les nouvelles attractives.

Ce sont celles les plus appréciées dans le concours national actuel.

Définition de la nouvelle (Larousse) : composition qui s'écarte du roman par un texte court, un sujet simple, une sobriété de style et une analyse psychologique...

La nouvelle moderne est beaucoup plus lue depuis qu'elle s'apparente à des nouvelles de Maupassant du style de La Parure,

c'est à dire depuis qu'elle affiche en plus un nombre de personnages trés réduit et une fin surprenante à l'image des court-métrages de cinéma.

Les nouvelles ne sont pas forcément noires ou dramatiques mais peuvent manier l'humour à l'image de celles d'Alphonse Allais ou des nouvelles de Danyel Camoin récompensées par un prix global dans le recueil : J'ai même rencontré le chaperon rouge ou, façon Maupassant, elles alternent avec des contes.

Voici ci-dessous trois pionnières de la nouvelle attractive :

Geneviève Casaburi (au centre) a toujours écrit des nouvelles mais depuis quelques années son style est devenu nettement plus attractif et récompensé par un grand prix aux Apollons d'Or et plusieurs prix aux concours de Sablet, Nyons et Aubagne. On trouve deux recueils de ses nouvelles chez Edilivres.

 

Janine Ravel (à gauche) n'avait jamais écrit de nouvelles cantonnée en contes et poésies, ses premières nouvelles après l'atelier lui ont donné un prix à Saint-Maximin et le deuxième prix à notre concours 2012.

 

Mireille Talotti-Miau (à droite) également plus tournée vers le récit et la poésie a remporté l'an dernier un grand prix à notre concours 2013 avec le chant du cordonnier après avoir étonné l'atelier avec une nouvelle nommée Frissons.


les clodettes

 

 

 

Dernier ou premier cri ?

Des plaintes et des pleurs s’envolent par-dessus les blés dorés quelque part au cœur du pays des cigales.

Soudain, perçant l’azur, un cri affreux résonne suivi d’un long silence.

Au beau milieu du champ, où se balancent les blés gorgés du soleil de midi, un corbeau s’est posé sur le noyer dénudé par son grand’ âge. Le corvidé croasse de toutes ses forces, déploie ses grandes ailes d’ébène, il s’agite, va, vient, revient d’une branche à l’autre, cela ressemble à un appel au secours… il y a danger !

 

Le lieu est désert, malgré sa beauté l’atmosphère y est pesante.

Une voiture est arrêtée sur le bas côté, la portière gauche est grande ouverte. La radio laisse s’envoler l’écho d’une musique classique. Ce véhicule, est-il en panne ? Cette personne, a-t-elle cherché de l’aide ? Et qu’a t'elle trouvé en retour ?

Quelqu’un a laissé des traces, se frayant un chemin parmi les herbes folles. Un sac de femme jeté en vrac jonche la terre brune et chaude, quelques effets personnels sont éparpillés ça et là. Un téléphone portable ouvert est abandonné. Il sonne occupé… Une liasse de billets de banque frissonne sous l’air léger qui se lève. Si il y a eu violence ce n’était pas pour de l’argent !

À quelques mètres de là, un sous-vêtement maculé de sang gît aux pieds d’une jeune femme. Elle tient entre ses mains son ventre, un râle de souffrance jaillit de sa gorge déchirant la beauté champêtre sous le soleil de plomb. C’est alors que surgit des blés, tel un géant… un homme.

Ses mains sont ensanglantées ; il a, sur son visage en sueur, l’air hébété, les yeux hagards ; il respire fort et trépigne … Qu’a-t-il fait ?

 

Le soleil témoin est au zénith. Le corbeau n’a de cesse, ses va et vient sont intenses, son œil rond est grave, son chant disgracieux ressemble à des paroles, des supplications peut-être ! Espère t-il que son cri alertera quiconque passerait par là ?

L’homme, la soixantaine est un paysan, un disciple de notre chère Dame Nature…l’aurait-il trahie ? Ses yeux clairs apeurés scrutent le ciel ; lui demande t-il pardon ? Sa tête où résonnent encore les plaintes étouffées de la jeune femme, se tourne à droite, puis à gauche ; en un sursaut de lucidité, à grandes enjambées, il se dirige vers la voiture… Fuit-il ?

Non ! D’un geste désaccordé, il arrache les clefs du contact, il s’affole, précipitamment il ouvre le coffre, que cherche t-il ?

Voilà ! Il a trouvé ce qui lui faut, un sac plastique, une vieille couverture fera l’affaire, le temps presse…

Dans sa hâte il n’a pas vu le corbeau qui maintenant s’est posé sur le capot de la voiture, il cogne et cogne encore de son bec crochu, il semble dire « vite, vite ! » Est-il oiseau de mauvaise augure, complice de cet homme ?

Le paysan revient sur les lieux, va-t-il achever ce qu’il a commencé, avec ce couteau qu’il a planté tout à l’heure dans la terre?

Le voilà agenouillé à présent devant la jeune femme. Elle à les jambes ouvertes et crispées, ses mains sont tailladées par les herbes, tant elle les a serrées entre ses doigts pour maîtriser ses douleurs.

Il la regarde au plus profond des yeux ; ses plaintes se sont tues, c’est bientôt la fin de son supplice, un regain de courage et tout sera terminé.

 

Les blés sans discontinuer dansent dans les vagues tièdes de l’air sous le ciel bleu de Provence. Au loin, le klaxon strident d’une ambulance déchire le frémissement des grandes herbes folles. Le corbeau rassuré croasse calmement… Il n’y a plus de danger !

L’homme a posé sur la couverture, ses genoux en prière ; son visage a retrouvé un aspect naturel, ses yeux se sont adoucis, son regard est contemplatif. Il retient son souffle et soudain un cri… Le cri de la vie !

Le bienfaiteur enveloppe et offre à la jeune mère presque religieusement, dans ses grandes mains burinées, ce cadeau fabuleux… son enfant !

 

Janine Ravel

 

 

UN CADAVRE AU CARREAU

Les cigales chantent toujours mais la chaleur est moins lourde. Peu à peu le boulodrome s’anime.

Les hommes arrivent, suivis de quelques femmes. Les équipes se forment. Un tireur. Un pointeur. Ou deux. Les boules sont sorties de leur étui. Un vieux chiffon pour les astiquer. Les cochonnets sont lancés. Et les parties commencent.

On parle fort. On crie. On se dispute comme toujours. Une tape dans le dos et tout est oublié. Sauf la partie qui reprend.

Sur les bancs autour du terrain, les touristes assistent amusés à ce phénomène, bien provençal : la partie de pétanque.

Tous les jours c’est le lieu de rencontre. Ce sont des paris que l’on lance à la cantonade. Pour donner un peu de piquant au jeu.

Là, c’est un carreau sur place. Plus loin, c’est un pointeur qui prend le point.

Et cela dure tard dans la nuit.

On se serre la main. On se dit à demain et chacun rentre chez soi. Content même si l’on a perdu la partie. On se rattrapera demain.

Le jour s’est levé depuis longtemps, et dans le village l’agitation est à son comble.

Une dispute a éclaté entre les membres de la principale triplette. Personne ne sait exactement pourquoi. A cause d’une erreur tactique sur le boulodrome ? D’une parole de trop ?

Tous les étés, c’est trois-là, ont toujours les nerfs à vif. Peut-être la chaleur ?

A midi, autour de l’apéro, tout le monde semble calme.

Sur la terrasse du cercle, à l’ombre des parasols, les discussions sont animées. On rigole. On galèje. Mais tout reste dans une ambiance bon enfant.

On retrouve même Tonin, Etienne et Raphaël, notre fameuse triplette autour de la même table. En train de siroter de rafraîchissante mauresque.

C’est bien la preuve que la dispute du matin n’avait rien de grave.

Vers midi trente, Tonin se lève.

 

- Bon ! Je vais préparer les grillades ! Je vous attends vers 1h00, lance-t-il à ses deux compères.

 

Il enfourche sa vespa et retourne chez lui, pour préparer le repas. Chacun à son tour, les trois amis sont en charge du repas du midi.

Mais aujourd’hui, c’est un peu spécial.

Un concours de pétanque a été organisé pour le soir. Ils doivent mettre au point leur stratégie.

Ce soir, la guerre est ouverte entre eux et la triplette du village voisin.

Depuis quelques années, les deux villages sont en perpétuels conflits. Les maires. Les curés. Tous s’affrontent au moindre problème.

Et la pétanque reste le seul moyen le moins violent pour régler les montées de testostérone de ces messieurs.

Ça crie. Ça gueule. Les injures fusent. On marque un point. La tension retombe. Et tout ce petit monde se réconcilie autour d’un pastaga bien frais. Du bout du chemin, Etienne et Raphaël sentent la bonne odeur du feu de bois et des grillades. Ils pressent le pas.

Sur la terrasse, tout est posé sur la table.

 

- Je finis ! Commencez à vous servir! lance Tonin, sans même se retourner.

 

Les autres s’assoient et commencent à se servir. Tomates en salade. Fèves. Radis. Tonin arrive avec un plat rempli d’entrecôtes marseillaises fumantes. C’est son pécher mignon.

Tous les trois mangent de bon cœur. Arrosent le tout d’un rosé de pays bien frais.

 

- Bon ! Et si on parlait de notre stratégie de ce soir ?

 

Alors une longue discussion s’engage. Tonin sera le tireur. Comme toujours. Il est bon. Etienne et Raphaël, les pointeurs. Et en cas de défaillance de Tonin, Raphaël pourra prendre sa place.

Ça parle très technique. Plomber. Bouchonner. Plein fer. Pas de tir à la raspaille. Ne pas être Fanny.

Les mots s’enchaînent. Les verres de rosé aussi.

La stratégie est mise en place.

Et la sieste arrive à point nommé, à l’ombre du grand chêne.

Vers 17h00, les trois compères émergent lentement. Le concours doit se dérouler vers 20h00, à la fraîche. Ils ont le temps. Chacun s’étire. Baille à s’en décrocher la mâchoire.

Ils ont rêvés de leur victoire. Ont revu les différentes parties de pétanque déjà disputées. Les différents points marqués. Et surtout la façon de jouer. Et bien sûr, ils ont tous rêvés de Fanny, se retournant gracieusement vers leurs adversaires. Et leur présenter son postérieur rebondi.

Sans se parler, Tonin, Etienne et Raphaël se regardent et partent d’un gros rire tonitruant.

Ils sont prêts. Ils sont en guerre. Et les voilà partis pour le village et surtout le terrain des « hostilités ».

Devant une table, les équipes s’inscrivent.

Le jeu de boules du village est noir de monde. Participants et spectateurs sont tous là. Les joueurs se jaugent d’un œil noir. Les bancs autour des pistes sont pris d’assaut. Les supporters, en face à face se regardent. On se moque. On se pique par des gestes. L’ambiance est électrique.

Enfin, les équipes se positionnent. Les parties commencent. Les heures passent.

Au fur et à mesure des éliminations, les pistes se vident. Maintenant, il ne reste plus que Tonin et ses acolytes et la meilleure équipe adverse. Les ennemis.

Après une courte pause, les deux triplettes se présentent sur le terrain. Les regards sont noirs. Les paroles agressives. Tous se motivent pour gagner.

Les joueurs se positionnent. C’est aux ennemis de lancer le bouchon. La première partie commence. Les points s’enchaînent. Les équipes se suivent. Se dépassent chacune leur tour. Un point de pris. Deux de perdus. Deux de repris. Les carreaux, plein fer, font un bruit d’enfer.

L’arbitre mesure. Et remesure, pour être sûr.

Douze à onze. Pour les ennemis et c’est à eux à jeter le cochonnet.

Une courte pause. Chacun dans son camp. On se motive.

Ils lancent le bouchon et le pointeur marque.

Raphaël pointe. Il prend le point. Carreau sur place pour les autres. Etienne reprend le cochonnet. Et ainsi de suite. Tonin entre en scène.

C’est le dernier. Toutes les boules sont sur le terrain. Il lui reste deux boules. Sur le sable, autour du bouchon, deux boules à égale distance. Il se rate, les autres gagnent. Et dans le meilleur des cas, il peut marquer deux points en faisant sauter l’ennemi et en plaçant sa dernière boule.

La tension est intense. Etienne et Raphaël savent très bien qu’il ne faut pas le déranger quand il se concentre. Le visage de Tonin est fermé. Tendu.

Cette fois-ci, il faut qu’ils gagnent. C’est pour l’honneur du village.

Tonin se prépare. Sa stratégie : faire sauter la boule ennemie et marqué le point avec la seconde.

Il avance sur le terrain. Regarde les boules. Scrute le moindre graton qui pourrait le gêner. Recule. Revient.

Enfin, il se positionne. Vise. Et tire. Mais la fatigue s’est mise de la partie. Elle fait trembler son bras au moment où il lâche sa boule. Son tir manque de force. Et sa boule frappe l’ennemi. Légèrement, juste sur « l’oreille ».

Personne ne bouge. Elle n’a fait que trembler. Raphaël et Etienne transpirent à grosses gouttes. Maintenant, c’est Tonin qui doit faire ses preuves. Il doit pointer. Et il faut qu’il marque le point.

Tonin vise. Pointe. Sa boule roule. Roule. Tous retiennent leur souffle. Tonin ferme les yeux.

 

- Monsieur le Commissaire, on l’a retrouvé là ! Sur le sable. La tête défoncée par une boule de pétanque.

- Et Tonin ne s’était disputé avec personne ? On connait son tempérament !

- Non, Commissaire ! Avec personne. Pour une fois !

- Et un mari jaloux ? Vous qui le connaissiez mieux que tous, Raphaël, il n’avait pas fait de fredaines avec une coquine !

- Ça, Commissaire, je ne pourrais pas le jurer !

- Commissaire, on ne pourrait pas enlever son pauvre corps ? Regardez tout ce monde. Etienne avait parlé avec sa sensibilité naturelle.

- Oui, bien sûr ! Messieurs, emportez-le !

 

Le médecin légiste, et un aide, soulèvent Tonin pour l’emmener.

Une grosse tâche rouge, presque noire apparait sur le sable du boulodrome. L’arme du crime est placée dans un sac en papier.

Raphaël et Etienne se sont assis sur les troncs d’arbres qui délimitent les pistes de jeu. Ils sont désemparés. Anéantis. Qui avait osé faire ça ? Ce n’était pas un saint. Mais mourir ainsi ! On avait fait un carreau avec sa tête.

Ils regardent cette tâche. Le sang de leur ami.

 

- Commissaire ! Regardez !

 

A l’emplacement du corps, un mégot de cigarette en papier maïs.

Le policier le ramasse. Délicatement.

 

- Une pièce à conviction ! lance-t-il.

 

Le Commissaire scrute la population rassemblée autour de la scène du crime.

Et là, il l’aperçoit. Un petit homme rondouillard. Une casquette posée de travers sur la tête. Un mégot jaunâtre au coin des lèvres.

Le policier fait signe à deux de ses hommes de le suivre. Ils se dirigent tous trois, d’un pas assuré vers le bonhomme.

La foule s’écarte sur leur passage, laissant le chemin libre jusqu’au suspect. Lui est resté là. Droit comme un i. Sûr de lui.

Et puis.

 

- Oui, Monsieur ! C’est moi qui l’ai tué. J’en avais marre qu’il fasse les yeux doux à ma femme. Et surtout, je ne supportais plus qu’elle me parle tout le temps de ses exploits aux boules. Alors cette fois-ci c’est moi qui ai fait un carreau. Avec sa tête !

 

Tous sont restés surpris par cette déclaration.

Le petit bonhomme tend ses poignets au Commissaire, qui lui passe les menottes et le fait emmener par deux gendarmes.

Personne n’aurait cru que Jeannot, puisque que c’était son nom, puisse être capable de commettre un tel acte. Lui, si insignifiant.

 

- Tonin! Tonin! Ohou! Tonin! Allez! Boulégan! Réveilles-toi! Tu me fous la pétoche maintenant !

 

Raphaël essaie de réveiller son ami. Il le secoue comme un prunier. Mais rien y fait. Tonin reste là. Allongé sur le sable du jeu de boule.

Même Etienne s’y met :

- Allez ! Zou, Tonin ! C’est pas l’heure de faire un sieston ! On a gagné. Tu l’as marqué ton point !

 

Lentement leur ami rouvre les yeux.

- Je suis pas mort !!

- Mais qu’est-ce-que tu racontes ! T’as pointé. T’as fermé les yeux. T’as marqué le pitchoun. Et puis tu t’es affalé par terre.

- T’as du prendre un coup de chaud !

- Je sais pas ! Pourtant je me voyais allongé. La tête défoncée par la boule d’un mari jaloux. Tu parles d’une victoire !!

- C’est rien ! T’as du délirer pendant ton petit somme.

 

Etienne et Raphaël aident Tonin à se mettre debout. Tout le monde applaudit les grands gagnants du concours. Une victoire pour le village dont ils sont tous fiers. Un peu trop peut-être.

Les autres, mal à l’aise, quittent le boulodrome sous les moqueries et les quolibets. La triplette adverse, s’en va. Déçue.

Tonin est acclamé comme un véritable héros.

 

- Je suis très heu…

 

Une boule de pétanque est venue le frapper en plein visage.

En face de lui, le tireur ennemi. Et Tonin tombe. Raide mort.

 

Geneviève Casaburi

 

 

 

LE CHANT DU CORDONNIER

« O sole moi… sta’nfronte a te… O sol… Ah ! Buongiorno Signora ! Quel soleil auourdoui, no , ! Allora, montrez-moi ces chaussouré !... J’ajoute des fers pour éviter l’ouzouré ? »

 

Les feuilles dansent sous les poussées rageuses du mistral, en cet après-midi d’automne, produisant cette sonorité particulière bien connue de nous autres, gens du midi.

A cette heure tardive, chacun se hâte de rentrer chez soi. Quant à moi, je longe les façades grises du boulevard qui monte à Notre-Dame de la Garde, un brin nostalgique. Soudain, mon regard s’arrête sur la vieille devanture, maintenant désaffectée, de l’atelier de Gabi, le cordonnier du quartier. Son histoire me revient en mémoire... En ce temps-là, nous prenions le trolley muni de ses perches car la montée était raide, il nous déposait presque devant chez lui…

 

Debout, près de ma mère, j’observais l’homme qui chantait et parlait tout à la fois.

Avec sa bonhomie légendaire, il prenait les chaussures qu’elle lui tendait et, tel une mécanique bien rôdée, il se mettait au travail ; et, toujours égal à lui-même, nous relatait les exploits de son modèle, le champion cycliste « Fausto Coppi ». La plupart de sa clientèle connaissait son admiration sans bornes pour ce coureur hors du commun au sujet duquel il se montrait intarissable : son échappée historique, son record de l’heure, son titre mondial, de même que « sa Dame Blanche » avec qui il vécut une histoire d’amour tumultueuse… Bizarrement, je me laissais captiver par ces récits d’adultes qui interpellaient mon imagination enfantine.

 

Emigré à Marseille comme tant d’autres italiens, Gabi était installé dans une minuscule échoppe adossée au mur du boulevard où il exerçait son métier de cordonnier avec ardeur et bonne humeur. Il faisait partie de ces individus à qui on ne peut donner un âge précis. Ni beau ni laid, des yeux et des cheveux bruns ; deux profondes rides d’expression dans un visage mobile encadraient sa bouche aux dents parfaites. Toujours assis derrière son comptoir sous la lumière blafarde d’un néon, petit bonhomme articulé au geste ample et sûr que donne l’habitude du métier, il tapait, clouait, collait tout en chantant de sa voix de stentor des airs célèbres d’opéra et des chansons sentimentales dont l’écho se propageait jusque dans la rue et même au-delà. Son invariable gaieté et sa gentillesse naturelles attiraient le client qui, par sympathie, trouvait toujours une paire de chaussures à lui faire réparer, et s’arrêtait dans son atelier rien que pour faire avec lui un brin de causette.

 

Outre son métier, Gabi avait une passion qui occupait presque toute sa pensée : « La Petite Reine ». Les murs de son arrière-boutique étaient complètement tapissés de photos et affiches de son idole « Fausto Coppi ». Parmi des tas d’objets hétéroclites, un divan fatigué par les ans et un vélo archaïque encombraient tout l’espace de cet étrange musée. Il se retirait parfois dans cet antre borgne afin de retrouver le Grand Fauto, disparu à juste quarante ans, le campione, tant adulé, aux cent quarante-cinq victoires et dont la rivalité avec Gino Bartali avait enflammé l’Italie de l’après-guerre, divisant le pays en deux…

 

Célibataire endurci, on ne lui prêtait guère de relations avec la gent féminine tant sa passion sportive était vive ; il avait donc toute latitude pour pratiquer son sport favori. Donc, chaque dimanche, Gabi enfourchait son vélo et s’adonnait à diverses courses locales avec toute l’énergie dont il était capable. Ainsi, le lundi il revenait travailler fier de narrer ses exploits à l’instar de ceux de son parangon, de sorte que, conjugué à son fort accent italien, son récit devenait inextricable pour son interlocuteur qui repartait en souriant, sûr d’avoir quelque anecdote hilarante à raconter au moment du repas familial.

 

Or, par un bel après-midi ensoleillé, entra dans sa boutique une jeune femme aux yeux doux et étonnés. Sa chevelure blonde et frisottante affleurait ses épaules nues. Dans sa robe de piqué blanc elle sembla une apparition céleste à notre gentil cordonnier :

«Je vous en prie, Monsieur, je suis très pressée, combien de temps vous faut-il pour réparer ce talon ? » Questionna-t-elle en tendant un charmant soulier blanc. Subjugué et désarçonné par le regard bleu si préoccupé qui le fixait intensément, Gabi bredouilla dans sa langue maternelle : « Ma… ma solo cinque minuti, signorina ! ».

Là-dessus, comme mû par un ressort, il entonna un chant mélodieux, et ses bras aux muscles secs se mirent à exécuter avec frénésie une gestuelle rythmée par ses longs tremolos. En effet, cinq minutes plus tard, la belle sortait de sa boutique, parfaitement chaussée, laissant notre Gabi absolument foudroyé.

 

La jeune femme avait dû être satisfaite de sa prestation car, la semaine suivante, elle revint dans le petit atelier munie d’une noria de chaussures diversement colorées. Elle portait encore sa tenue blanche. Gabi y vit comme un présage : la Dame Blanche ! Un fol espoir d’amour l’envahit tout entier. Alors commença une lente opération de séduction de la part de notre cordonnier qui voulut faire partager sa passion dévorante à Juliette, c’était son prénom. Elle l’écoutait avec attention, le fixant de ses grands yeux étonnés. Celui-ci, constatant l’intérêt qu’elle lui portait, redoublait d’éloquence en évoquant par le menu le palmarès du grand campione. Il fit si bien, qu’un jour elle accepta de passer dans l’arrière-boutique où nul autre que lui n’avait pénétré auparavant. Juliette écarquillait ses grands yeux et posait maintes questions en découvrant ce sanctuaire, et ce, pour le plus grand plaisir de Gabi qui était véritablement « aux anges ».

 

Ainsi, les visites de Juliette se multiplièrent. Notre Gabi, fort exalté, prit cela pour un encouragement. Un après-midi, alors qu’elle était installée nonchalamment sur le divan feuilletant un « Miroir-Sprint», ancienne revue cycliste, elle avait croisé ses belles jambes fuselées, un pan de sa robe immaculée était resté légèrement soulevé et laissait entrevoir un peu de sa cuisse à la peau dorée ; la vision de cette féminité exacerbée lui monta à la tête, il se lança : il l’attira délicatement à lui, cherchant maladroitement ses lèvres. Elle s’effraya de ce geste impromptu, se leva précipitamment en le repoussant brutalement et sortit en courant, les joues en feu. Le pauvre garçon en resta pantois : « Madonna, che ho fatto ! che ho fatto ! » se lamentait-il.

 

Le lendemain, il attendit vainement Juliette ainsi que les jours suivants. Il souhaitait qu’elle lui pardonnât son élan spontané, il était tant épris d’elle ! Comment avait-elle pu l’ignorer ? D’autres fois, il se torturait en pensant : « la poverina ! si jeune, si fragile, je ne suis pas digne d’elle. J’ai tout gâché ! ». Il espérait toujours la voir entrer dans sa boutique, comme avant, charmante silhouette illuminant ses journées routinières, lui chez qui rien n’était jamais venu modifier l’ordre de l’existence. Ses nuits étaient peuplées de rêves étranges axés sur l’objet de son tourment. Enfin, il paraissait si malheureux que l’on avait de la peine pour lui.

 

Un matin, il découvrit dans sa boîte aux lettres un pli émanant du Commissariat de Police du quartier. On le convoquait suite à une plainte. Au jour dit, il se rendit à la convocation. A sa grande stupéfaction, il apprit que Juliette l’accusait de tentative de viol sur sa personne.

Le choc fut tel qu’il dut s’asseoir pour ne pas tomber. Hébété, il écoutait le brigadier lui signifier les griefs de la plaignante sans comprendre véritablement ce qui lui arrivait. Il ne pouvait croire une chose pareille. Juliette, son étoile ! Non, pas elle ! Il y avait erreur sur la personne… Il devait sûrement rêver… Il allait se réveiller…

 

Tous comprirent la honte et l’humiliation de cet homme simple et honnête dont on avait criminalisé l’exaltation amoureuse. Heureusement, les témoignages en sa faveur lui évitèrent le pire ; cependant la blessure ne se referma jamais. On le plaignit beaucoup ; toutefois on entendait plaisanter dans son entourage : « On a voulu faire chanter Gabi ! Vous vous rendez-compte ! Ah, ça, ce n’est pas banal ! »… Cela fit beaucoup rire et on en rit encore, gentiment.

 

Désormais, en passant devant sa porte, on pouvait entendre comme un chant aux modulations tristes, mais ce n’était que des sanglots.

 

Par la suite, on raconta beaucoup de choses sur cette femme : qu’elle n’en était pas à son premier coup d’essai ; qu’elle allait de ville en ville, choisissant ses victimes avec beaucoup de précaution, plutôt des hommes timides et sans expérience en la matière. La méthode était simple : une fois le pigeon ferré, au premier signe de rapprochement de sa part, elle s’enfuyait précipitamment laissant son soupirant confus et culpabilisé ; courait au commissariat le plus proche et racontait sa mésaventure avec force larmes. Par le truchement d’un avocat, l’amoureux piégé lui proposait alors une somme substantielle pour éviter un scandale. Elle retirait alors sa plainte et recevait le fruit de son chantage sans état d’âme aucun. La première fois, elle avait agi sans malice, puis, ayant compris les avantages qu’elle pouvait tirer de ces situations scabreuses, elle n’avait plus eu d’hésitation et avait pleinement profité de cette manne financière si bienvenue.

 

Les gens sont si médisants !… Une voix s’élève derrière moi : « Tiens ! Juliette ! Te voilà de retour dans le quartier ? »

 

 

Mireille talotti-Miau

 

 

 

 

Article FZ /Photo Yves Ravel

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Deux auteurs de genre trés différents Frank Zorra (primé aux Apollons d'or pour des nouvelles de Nyons-livret complet) et Danyel Camoin (Plusieurs fois prix d'honneur du recueil de l'Académie de Provence et récompensé plus récemment à Sablet pour sa nouvelle un mardi de marché).

Si Danyel est à la fois (suivant la préface de Marie-Louise Bergassoli sur j'ai même rencontré le chaperon rouge) poète et nouvelliste, ce qui rend quelquefois ses nouvelles un peu prose poétique...

Frank plus axé sur le polar (presque western) atypique marseillais s'adresse dans un language plus simple ponctué de mots régionaux aux amateurs du genre d'autant qu'il est lui-même anti-héros de ses aventures...

Alors sans chercher le meilleur, nous vous offrons aujourd'hui en parallèle une nouvelle de chacun qu'on pourrait classer comme hommage aux dames en prime quoi que sur un sujet différent...

Et là les deux auteurs s'expriment avec un je narratif qui laisse penser qu'ils montrent leur propre histoire, tous les deux...

Pourtant c'est de la fiction mais qu'en pensez-vous ?

Commentaires possibles sur le blog.

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Plus loin que "Insolitude" et "Fumée", textes extra-ordinaires des fleurs du vide, tu as écrit cet opéra féministe qui suffit à lui-même sans effets spéciaux à soutenir la thèse de l'amour au-delà de la mort sans l'étalage de fenêtre sur l'autre monde…

Sait-on jusqu’où peut entraîner l’amour fou ? La solitude nous prenant par la main…

 

 

Elle eSt Moi

 

 

Je supportais mal l'absence d’Hélène que j’appelle depuis toujours Elle. Nous nous étions tant aimés.

Dans un auditorium, j'ai soudain entendu une causerie qui m’a attiré, je devrais dire harponné ! Un savant parlait de la relativité de l'impression faite sur le corps humain par la vie avec un être aimé. Une sorte d’empreinte profonde corporelle et cérébrale.

J’ai demandé alors une entrevue avec le professeur qui m’a expliqué que ces expériences récentes l'avaient conduit à prouver qu’une épouse qui a subi, supporté ou plus particulièrement adoré, quelqu'un au point d'en faire son autre moitié devient capable de le faire renaître en elle. L'expérience physique a démontré qu'on retrouve des qualités ou des défauts et mieux des empreintes saillantes allant du grain de beauté jusqu'à la cicatrice chez certains animaux ou même chez des personnes en pleine santé. À l'aide d’un sérum de sa confection, un savant était arrivé à recréer une sorte de clone féminin dans l'épouse d'un personnage disparu utile à la nation : l'idée étant de faire vivre au-delà de sa mort les qualités intellectuelles d'un savant ou d'un chef de l'État. Bien que n'ayant jamais été essayé sur un homme le produit était apparemment réversible.

Je me moquais bien qu'on prolonge la vie des grands hommes au-delà de leur mort n'étant pas pour ma part persuadé de leur utilité au niveau planétaire. Si je m'intéressais à ce procédé, c'était uniquement parce qu'en moi venait de briller une idée comme une lampe s’allume. Celle de recréer : Elle.

Évidemment, ce sérum n'était pas pour moi et personne n’avait l'intention de me le procurer : personne… sauf moi !

J'ai mis beaucoup de temps à y parvenir mais avec l'aide d'un copain qui ouvre toutes les serrures et qu’on appelle «  Passe-partout », j'ai fini par me procurer l'échantillon miracle.

Avec l'assistance d'une infirmière un peu amoureuse de moi avec qui j'avais tenté jadis une idylle malheureuse, -que ferait-on sans femme- j’ai été piqué par cette affreuse seringue qui a mis le feu à la plus majeure partie de mon corps en commençant par mon séant qui a refusé sa fonction de s’asseoir durant des heures.

J’ai cru en mourir, j'ai avalé des seaux d'eau pour étancher la soif bizarre qui remontait de mes entrailles dix fois plus secouées que par une injection de piment fort. Après trois semaines de diarrhée et de vomis-sements, j'ai compris que ce traitement n'était administré que sous contrôle dans les laboratoires d’une clinique spécialisée. Je ne saurais dire si j'ai senti un effet par la suite qui a changé ma personnalité mais deux mois plus tard j'ai commencé l'expérience qui va suivre.

Je savais bien que je n'arrivais pas à vivre sans Elle mais la retrouver en moi me paraissait tout de même impossible.

Je ne me suis certainement pas aperçu au début des petits changements que je m'infligeais d'abord inconsciemment puis, petit à petit, j'ai eu l'impression de sentir une présence auprès de moi. Mon côté gauche paraissait ne plus correspondre à mon côté droit. Je sais, le dire ainsi peut paraître idiot mais je la sentais à ma gauche contre mon cœur et ce n'est pas une réplique poétique. Je me posais déjà depuis longtemps la question sur de nombreuses actions ménagères ; comment me les aurait-elle ordonnées ? Là, j’agissais carrément comme je pensais qu’elle aurait fait. Avais-je une relation invisible avec l’au-delà, en tout cas, si je mettais mon plat au four de la main droite je me brûlais alors que de la gauche je m’en tirais très bien : un vrai cordon bleu dans la cuisine où je réussissais des plats qu’elle-même n’avait jamais si bien mijoté. Je feuilletais mode et travaux pour coudre à sa machine des tenues bizarres qui me permettait d’habiller mes deux moitiés dans un même ton ou coloris. Je trouvais de l’outillage pour m’aider dans le catalogue qu’Elle préférait, celui de La Redoute. J’en étais venu à lire des nouvelles dans « Nous Deux » et à considérer Femme actuelle comme une bible alors que je n’y avais jamais mis le nez auparavant. Tiens, justement à propos de narines, je les emplissais de « smell me » de Juicy Couture, un parfum qui me parlait… d’Elle !

Alors que pendant des mois je m'étais contenté de regarder son visage et sa silhouette sur des photographies que je manipulais ou que j'accrochais au mur, là je l’ai sentie près de moi, ma raison de vivre était de retour.

Petit à petit, j’ai laissé pousser les ongles de ma main gauche, des écarteurs entre les orteils, j’ai joué la pédicure: j’ai soigné les ongles que j’ai vernis et massé les talons pour éviter les peaux durcies ou écaillées, j'ai épilé ma jambe gauche…

Je me suis mis à faire du footing pour remonter mon derrière, faire fondre la « culotte de cheval » que j'observais dans le miroir du côté gauche, je me suis mis à marcher sur des échasses : j'ai acheté une paire d'escarpins à ma pointure avec des talons assez bas en utilisant surtout le gauche...

Mais le plus « marrant », si je puis m'exprimer ainsi, résidait dans les signes qui apparaissaient sur mon corps sans que je n'aie rien fait : son grain de beauté sous le sein gauche, ce n’est tout de même pas le silicone qui l’avait créé, la finesse de ses doigts de la main gauche et une cicatrice qu'elle portait sur la cuisse apparue là, un matin au réveil après un rêve dans lequel nous nous embrassions passionnément. Comment un homme aurait-il pu réussir un truc pareil sans une aide extérieure… ou intérieure ?

Et cet oiseau tombé du nid que j’ai ramassé et caressé si doucement avant de le raccompagner à sa place ou ce regard bêta que j’ai posé, de l’œil gauche, attendri sur le bébé de la voisine : l’idiote a cru que je voulais la « draguer » maintenant elle me fuit. Ah ! Elle. Certaines femmes ne te ressemblent pas ; jusqu’où peut aller l’imagination ?

Je pense qu'il s'agissait là du travail de l'élixir. Bien sûr, je n'étais certain de rien mais je ne pouvais pas non plus aller me renseigner à la source.

Chaque jour, je constatais un élément supplé-mentaire de ma transformation, et, ne vous étonnez pas si je vous dis que j'étais plus ou moins fier du résultat. J’avais acheté des lampes U.V pour compléter le soleil que je laissais dévorer à plaisir notre côté gauche sans maillot afin d’éviter toute marque évidemment, fardé d’ambre solaire de haute qualité, graissé de la façon qu’on entretient le canon d’une arme à feu par ma main droite qui n’avait pas la finesse de l’autre. Il fallait soigner cette peau douce, l’entretenir, l’empêcher de vieillir, de mourir une seconde fois… J’avais besoin de la sentir chaude sous mes cinq doigts.

Les premiers jours, je sentais ma main gauche prête à me gifler : par exemple lorsque j'avais renversé la poubelle de ma main droite en voulant faire vite et que j'avais du mal à nettoyer le parquet d'une seule main. Je l’ai récuré pour calmer sa colère.

Quand tout était bien « clean », j'ai pensé que j'aurais bien mérité un baiser mais c'était encore dur pour Elle de m'embrasser. J'ai pincé sa fesse gauche entre mes doigts ; rebondie et rabotée au « Vibro-belt », je lui retrouvais une certaine fraîcheur.

 

Maintenant, je suis sûr qu'Elle est contre moi, par moments, je parle avec sa voix et je dis des choses que je ne comprends même pas : des secrets intimes féminins. Mais j’ai vu son sein pleurer pour allaiter notre amour.

J'ai été si content de la retrouver que je ne lui impose rien. Je lui parle, l’écho répond.

De profil gauche vers le miroir, je la vois contre moi et je sens sa chaleur, sa main gauche posée sur ma main droite imitant le geste d’autrefois et son souffle sur ma poitrine. Alors peu importe si elle ne veut pas faire l'amour, je lui autoriserai sa migraine et ces comportements bizarres de moribonde. Je continue le footing pour remonter mon postérieur ; je n’avais jamais lorgné mes fesses auparavant et voilà que j’inspecte encore la gauche dans le miroir : la cellulite de la hanche et la position du nombril. Je prends soin d‘épiler et d’éviter la forêt qui suinte sous le bras. Je veille à remonter la lunette des WC et ma moitié dirige la bonne marche. Elle fait la vaisselle, habile de sa main gauche, et je l’essuie de la main droite ; c’est plus sûr pour éviter la casse : Elle tenait à son service. Je me suis toujours demandé quel plaisir on pouvait avoir à contempler une pile de porcelaine… autrefois ! Elle m’indique de son ongle long la manière de ranger la maison pour contenter mon œil gauche qui porte un air plus autoritaire que de son vivant. Je prends bien garde à ne pas oublier les fleurs, c’est très important la senteur des couleurs, j’en ai planté dans le jardinet avec sa main verte et j’ai surpris le rosier à grimper, il finira par lui donner ces roses rouges qu’elle aimait tant…

Peu à peu, je ne pourrai plus sortir de chez moi, je paraîtrais ridicule : un homme coupé en deux. D'un côté, la moitié de ma personnalité qui subsiste et de l'autre les cheveux décolorés en blond, d’un œil gauche au sourcil épilé et des cils un peu trop fardés de mascara de saint Laurent, un des saints qui protègent la femme, une sorte de crépi rustique parce que je n'ai pas le geste aussi fin qu'elle pour le faire, une main fine avec des ongles longs, il ne faut plus rien toucher pour ne point les casser, et la moitié du postérieur en évidence sur une hanche qui se déhanche sur un talon-aiguille. Je soigne ma moitié. Mais le rouge à lèvres sur une portion de bouche et les divers éléments qui s'arrêtent en milieu de mon corps finissent par me gêner, « moi » !

Au début, la main gauche l’a caressée jusqu'à certaines extases nuageuses mais je sens bien que ce n'est pas ce déclenchement qu'elle souhaitait. Elle aspire à une élévation différente jusqu'à ces jouissances successives qui ne sont possibles qu'au féminin dans cette source intarissable de plaisir exacerbé que je n'ai pu jusque-là connaître qu'en fournisseur et non en convive. J'ai toujours senti la supériorité féminine dans le plaisir suprême, la « grimpette » au septième ciel par le nuage du drap ou bien le survol du monde par l'envol de « Catwoman » évidemment reste réservé aux jouisseuses. Devrais-je faire appel à un troisième personnage pour lui procurer, à l'instar de certains couples modernes, une ouverture différente de l'amour, étant donné qu'à nous deux, en ce cas, nous manquons de sanctuaire vaginal et n’utilisons qu’une commune voie anale. Devrais-je l’offrir à un autre ? Bien des couples de nos jours ont des problèmes d'ouverture, je ne suis sûrement pas le seul à me les poser mais je crains la réaction d'un inconnu venant de l’extérieur face à notre siamoise vie ! Je pensais que dans l'attente, on pourrait s'acheter un « sextoy » mais elle n’a jamais aimé le factice ou les postiches, donc solution proscrite.

Nous sommes ensemble et c'est pour moi le principal. Mais ce truc qui pend entre mes jambes ne correspond plus au partage de l'individu : est-ce qu'il faudra un jour en venir à l'ablation avec un couteau électrique ? J’ai vu cela dans un film italien de Ferreri, je crois, avec Gérard Depardieu et j’ai, à l’époque, été horrifié considérant une atteinte à l’emblème de la vie et de la supériorité : aujourd’hui, c’est très différent, je sais que ce sont les femmes qui enfantent le monde. Je n'en suis pas encore là mais inexorablement un changement radical s'impose à ce niveau et elle tend à vouloir occuper toute la place à l’instar de ces moments nocturnes où je me retrouvais autrefois au bord extrême du lit juste avant la chute ; là aussi, je suis au bord du vide mais prêt à tout pour la garder ; je ne pourrai pas supporter de la reperdre, alors, un membre de plus ou de moins….

Un fou, oui, peut-être, mais un fou d’amour, en manque de tendresse, que les gens commencent à dénigrer sérieusement… m’accusant de basculer dans une féminité nocive à voile et à vapeur. Mais Elle aussi aimait les femmes et c’est sûrement elle qui m’a appris…

Mais peu importe la finalité, je vis les instants présents et le reste du monde n'existe pas ; les amoureux sont seuls au monde, non ? Alors, les autres, quelle importance, comme elle disait, des fourmis sur l’aile de l’univers ! Sans plus ! Rien ni personne ne peut plus interférer ou pénétrer dans cette intimité où nous vivons…

Elle eSt moi.

 

Danyel Camoin 2011 

Et là, c'est un hommage au féminin qui peut arriver même si c'est moins fantastique … enfin presque !

Nicole

elle est moi - Copie

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La porte de la lumière

 

Comment ai-je abandonné mon bureau pour une fille, pour un fantôme ? Vous voulez savoir ce que je faisais en Harley Davidson sur ce terrain vague …

 

La voix résonnait encore à mes oreilles comme si c’était encore le présent :

- Vous êtes Frank Zorra, a-t-elle dit, un jour je vous tuerai ! Comme vous avez tué ma fille Marjorie.

- Je ne comprends rien à ce que vous dites : je n'ai jamais tué de fille !

- On peut tuer sans armes, M. Zorra, avec un sourire, un jeu de mains ou pire…

Cherchez pourquoi elle est morte… C'est votre boulot, les enquêtes, non ? Responsable mais pas coupable, comme Fabius, M. Zorra !

- Vous êtes folle ! Je ne suis responsable de rien. Je ne sais même pas de qui vous parlez.

- Rappelez-vous, elle portait un collier avec une cigale en métal pendue sur sa poitrine…

 

Zorra, je m'appelle Zorra, Frank Zorra comme Zorro mais avec A

La cigale entre les monts de Vénus, l'éclatement du souvenir ! Mais, je n'arrive pas à revoir son joli visage : des cheveux blonds collés au front, un jour de pluie ; elle est tombée devant moi et je l'ai aidé à se relever ! Ensuite, je l'ai entraînée dans un café et l’ai fait boire chaud. Je l'ai embrassée sur le front en recoiffant ses cheveux avec un mouchoir. Est-ce ainsi que l'on tue quelqu'un ? Il faut tout revoir, refaire le parcours, ouvrir la porte vers la lumière… Et enfin savoir pourquoi elle est morte ! Marjorie Muches, M-M, aime, aime ! Elle voulait qu'on l'aime.

Je remonte la filière.

Marjorie n'a jamais connu l'amour. La pointe d’un sein sous le sweat blanc poussant la virginité à l’extrême. Des monts et des vallées que seul le vent pouvait caresser ou peut-être elle-même au fond de sa baignoire les jours d’extase. Elle vivait seule dans un appartement miteux qu'un de mes clients lui avait loué pour l'avoir sous la main. Une fille entretenue ? Non, même pas ! Une étudiante qu'un vieux avait logé puis laissée choir parce qu'elle n'était pas la muse de sa literie comme il l'avait souhaité. Trop sage ou trop pure, peut-être simplement niaise ? Un visage d’ange, on peut l’aimer sous les étoiles mais pas forcément dans un lit où l’on ne dort pas. Elle devait avoir la peau douce des novices qu’on a malmenées sans les conduire jusqu’au septième ciel et moi j’étais trop vieux pour déposer dans sa grotte les graines d’un retour à Lourdes sans train, ni voiture. Le pire, jusqu’à ce moment je ne me souvenais même pas d’elle, moi qui repérais un parfum de dame une heure après son passage.

Et quand je suis entré dans l'appartement de la suicidée qui s'était inspirée de la fille sur le pont sans doute, un film que j'ai vu avec Vanessa Paradis, j'ai frissonné en voyant ma photo sur le mur ! Des tas d'articles sur moi quand j'étais flic et après. Une collection ! Elle avait réuni tout ce qu'elle avait trouvé sur moi. Des photos qu'elle avait prises s'ajoutent. Et je me souviens des flashes qui m’avaient  aveuglé sans que je reconnaisse la photographe. Oui, la porte de son taudis est porte de la lumière. Une fille qui m'aimait et je ne le savais pas ! C'est curieux je n'ai pas l'habitude d'essuyer une larme pas très ronde qui s'accroche à mon œil de lynx…

C'est juste un geste amical pour une fille qui aurait pu être la mienne, c'est ainsi que j'avais déclenché une démarche érotomane, une réaction sentimentale, une peur de la vie sans l'autre. Il me reste le plus dur : pourquoi n'avait-elle rien dit ? Pourquoi avait-elle perdu espoir ? Je m’extasie devant sa photo, redessinant les contours et m’attardant sur ses yeux bleus , plongeant dans cette mer non polluée, dans ce ciel qui s’ouvre à vous sur la ligne du cœur ; tout ce désarroi qui se mêle à ce regard profond, si profond qu’il finit par exprimer le vide, l’attente de l’autre, la notion de moitié, la position incomplète du corps tout fin, tout lisse, tout jeune, qui s’y attache et qui appelle l’autre, le cherche en effeuillant son sourire triste, passionnément, à la folie ! Et la larme a coulé le long de son petit nez jusqu’à ses lèvres inutilement ourlées de rose que personne n’embrassait sauf pour argumenter une arrière-pensée de brute. Et ses épaules s’écroulaient sous ses longs cheveux d’or, écrasées par le découragement d’une jeunesse pas assez chouchoutée, pas assez…aimée. Et je l’ai ignorée.

En partant troublé, je viens de heurter la corbeille à papier et c'était là qu'il fallait regarder ! Une boule de papier s'est mise à rouler sur le sol. Je l'ai ramassé. Une page de journal me montrait enlacé avec mon ex-femme, une paillette dans le regard lui avait coupé l'espoir de sa folie. Je me rappelle maintenant quand elle m'avait parlé… Je lui avais dit que j'étais trop vieux pour elle. N'était-ce pas la vérité ? Cependant, j’avais pensé à moi, aux autres, mais à elle… Je l’ai oubliée. J'en ai assez de cette vie de fouille-poubelle. Je sors du bâtiment…

La montagne murmure même mon mystère maintenant mêlant mon menu marginal malgré maintes mues moulant ma mesure, mirobolante marche mixée m’enlevant multiple mégarde. Voilà tout un flot de mots en M, on peut faire n'importe quoi quand on aime. Même courir sous les étoiles pour trouver un interlocuteur muet. Enchanté de me trouver invité à parler aux étoiles, j'y vois un moyen de s'extérioriser sans froisser l’interlocuteur en constatant que son visage s’assombrit au fur et à mesure de la conversation. La brillance lumineuse conservée éclatante face à chacun de mes poèmes, si l'on peut appeler cela des poèmes, ne peut être qu'un encouragement à fabuler, à écrire encore, à exploser de la verve la plus débridée et à donner à chaque éclat une raison d'être, inefficacité non comparable, une fleur d'étincelles sur la voile du temps et une réplique muette mais lumineuse. Me voici donc prêt pour cette invitation au néant avec mes remerciements planétaires déployés à la lumière cosmique. Et tout cela ne mène à rien. Bien sûr. C’est la divagation de l’homme seul qui n’a pas cueilli la fleur qui s’ouvrait devant ses pas soi-disant par respect… Mais respect de quoi ? D’une morale étriquée instaurée par des hommes au nom d’une justice d’hommes et était-ce juste qu’elle meure sans connaître l’amour ?

Que fallait-il que je fasse ? Sortant de l’immeuble, j’ai vu un motard sur une Harley qui ronchonne en m’attendant. Il a démarré en trombe dès qu'il m'a vu et il a failli m'avoir ! J'ai un corps svelte malgré mes soixante ans,  j'ai dévié la moto et il a heurté une rambarde dans son élan. La moto s'est arrêtée en glissant au sol et lui a frappé le mur de son front sans se reculer. Rupture des cervicales ! Je n'ai pas le chirurgien sous la main. Responsable mais pas coupable ! Décidément cela me poursuit, je n'aurais plus qu'à tuer la mère, et tout rentrerait dans l'ordre ! C’est elle qui l’a lancé à mes trousses. Mais non, rien ne s'arrêterait, le mal étant en moi comme le ver est dans la pomme. Jusqu'où je vais ? Fuite sans fin puisque celui que je fuis, c'est moi ! À quel endroit pourrais-je me semer ou quand est-ce que je me rejoindrai ?

Pourquoi suis-je parti de l'auberge sans crier gare ? Pourquoi j'ai laissé mon frigo, mon bureau et gardé sa moto ? Un souvenir de mon assassin ! Mais c'est lui qui est mort ! Comme elle.

À cause de la fille sans doute. Elle portait une cigale en pendentif… C’est pour cela qu’elle chantonne encore dans ma tête sans arrêt et cela va sans doute vous faire rire mais j’ai bien pensé un moment entrer en elle, bousculer sa fine silhouette pour violer cette intimité inutilement dévastée par la faux de la Mort, un rêve impossible, n’est-ce pas ? J’y ai pensé trop tard… Mais c’est elle qui est entrée en moi. Je la sens en moi : elle m’occupe comme une entité diabolique qui m’empêche de l’oublier, au détriment des images de mon ex-épouse et ma fille dont les visages se mixent dans le sien couvert des ailes de la pluie…

 

 

Je me sentais téléguidé vers le vide, vers ailleurs…

Et c'est le lendemain que j'arrivais par hasard… Avec la Harley qui ronchonnait.

Juste là, sur le terrain vague…

 

(Voir aussi la nouvelle les propriétaires du néant)

Frank Zorra 2013

 


La rencontre de Danyel et de Frank  : Au seuil de l'inexplicable ! editions EmA


FUGI

Découseuil

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