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1 février 2011 2 01 /02 /février /2011 12:26

Lisez Marseille L'hebdo !

Dans le numéro 528 du 1 février Marseille l'hebdo publie Danyel Camoin

dans sa meilleure nouvelle : Au bord du vide, premier prix de la nouvelle à Allauch en 2007.

Cette nouvelle fait aussi partie du livre paru aux éditions Bénévent en 2008 et ovationné la même année sur le podium de l'Odyssée des lecteurs à Martigues : Des nouvelles de Provence.

Au bord du vide, ici seulement la première partie dans la rubrique Lire et Dire, obtient sa consécration marseillaise, montrant un savant à l'instar de Frankeinstein qui déclare la guerre à la maladie d'Alzheimer.

Le livre des nouvelles de Provence est en vente à la librairie Maupetit à Marseille et à la librairie Le Blason à Aix en Provence, quelques exemplaires sont encore disponibles chez Provence-poésie.

 

lire-et-dire.jpg

Au bord du vide¨

(Version courte)

 

 

Véronique, jeune et énergique journaliste, blonde frisée au limpide regard bleu, vient de livrer son article et quitte les locaux du journal régional où elle travaille afin de rendre visite à son grand-père comme toutes les semaines. À son arrivée habituellement, dans le parc boisé et entretenu, l’homme aux cheveux blancs l’accueille. Il vit maintenant dans un foyer spécialisé car on ne peut plus le laisser seul depuis ses égarements qui ont débuté, comme pour tous, par d’énormes trous de mémoire. Il est atteint, lui aussi, de la maladie d’Alzheimer. Récemment, elle a eu une désagréable surprise : son cher Papy ne la reconnaissait plus ! Un nuage de larmes retenues balaie ses cils fardés lorsqu’elle lui parle gentiment, à chaque visite, en lui prenant la main lui fait comprendre qui elle est.

Ce jour, lorsqu’elle arrive une autre surprise la cueille : son grand-père a disparu ! Un cousin l’aurait emmené en promenade et ne l’aurait jamais ramené ; un homme un peu plus jeune que lui se disant un familier ; Véro proteste. On n’aurait pas dû le laisser sortir ! Elle organise des recherches parallèles à celles de la police ; elle apprend ainsi qu’une femme de la même génération vient de réapparaître, complètement transformée, après une longue recherche infructueuse: les policiers prétendent que son grand-père s’est volatilisé de la même façon : aucune trace !

Au bout de trois mois environ, pourtant, lorsque l’on n’y croit plus, il réapparaît. Il reconnaît Véro, ce qui tient du miracle ! Il semble heureux et évoque le passé, soucieux de sa tenue. La jeune femme lui fait rencontrer la « miraculée » revenue d’une pareille absence : la vieille dame aux yeux brillants. Ils conversent longtemps comme s’ils venaient du même monde, s’ils se retrouvaient, après des années, alors qu’ils ne se connaissaient même pas. Ils deviennent amis et se lancent dans d’interminables parties d’échecs et de belote. On les héberge dans un centre espérant en les étudiant de près comprendre ce changement bénéfique. Un professeur qui les a examinés avec un scanner révèle à la jeune fille qu’ils ont tous deux une cicatrice cachée dans les cheveux et un bout de silicium enfoncé dans le crâne ! Il semblerait qu’un fou leur ait inséré une puce électronique dans le cerveau qui compense par une mémoire perfectionnée la liaison détruite par la maladie ; ils ne sont pas guéris, ils dominent le mal. La greffe qui n’a miraculeusement pas été rejetée par les tissus leur redonne un squelette de mémoire : un Frankenstein nouvelle version !

Pendant qu’elle discute dans le bureau du savant, son grand-père casse une porte à coups de pieds parce qu’on l’a séparé de sa vieille compagne ; il ne veut plus vivre sans elle ! Véro s’insurge. À leur âge que craint-on ? Un surcroît de tendresse ? Elle obtient l’accord de la famille de la dame. Désormais, on ne les séparera plus ! Promenade dans le parc, main dans la main, en cueillant des fleurs et jeux en soirée au clair de lune en observant les étoiles occupent maintenant leurs loisirs.

Le médecin les fait installer ensemble dans une maison de campagne qu’il possède non loin de là ; il veut surveiller leur évolution. Il charge la journaliste de mener une enquête discrète, avant que des policiers ne s’emparent de l’affaire, afin de trouver le génie qui a créé cette solution à leur malheur.        

 

Après plusieurs jours passés à circuler en voiture sur les routes et les chemins de la région, Véro arrive devant l'ancienne station-service isolée, qui surplombe le village, celle-ci a été rachetée par un particulier. Elle arrête son véhicule, elle descend et avance à pieds... Elle découvre dans le jardin, sous un énorme olivier où chantait une cigale, une montre à chaîne en argent qu’elle reconnaît : son grand-père  est donc venu jusque là … Elle appelle, la montre à la main, mais personne ne répond.

Elle avance vers la maison qui paraît abandonnée depuis plusieurs jours. En poussant une porte restée ouverte, elle s'introduit et, près de l'escalier, elle trouve un homme accroupi au bas des marches ; le pantalon souillé et l'air malheureux, il murmure :

«-Je suis tombé... Je n'ai pas pu me relever. C'est à cause de ma jambe.

-Je vais vous conduire à l'hôpital !

-Non, pas l'hôpital ! Donnez-moi la trousse : une piqûre et je remarcherai ! C'est la calcinose : mes articulations se bloquent sur un choc ou sur un faux mouvement ; ne vous inquiétez pas ! Prenez aussi de la glace dans le frigo. Merci. »

 

Un peu plus tard, l’œil un instant égaré dans le corsage dégrafé dans l’effort de la jeune femme qui l’a soutenu jusqu’à un siège et lui retire ses vêtements trempés, le vieil homme l’entend lui dire :

« -N’ayez aucune inquiétude, j’ai déjà assisté mon grand-père dans des cas semblables ! »

Il paraît, en effet, déjà plus vaillant, elle est surprise de le constater en achevant de le déshabiller. Elle lui dit qu'il ne devrait pas vivre seul au risque de mourir sans secours. Il lui répond:

«-Qui voudrait d'un vieux cheval qui ne peut plus courir le derby ? Même au garde à vous, vous devez me trouver pitoyable nu devant vous ?

-Je songeais à une dame de votre âge ! Cependant, vous n’avez pas l’air complètement usé.

-Je n’ai pas l’habitude d’un secours aussi… charmant. Vous représentez une joie dans la rencontre. Que ne donnerait-on pour dormir dans vos bras ? Vos yeux sont d’étincelantes éprouvettes où mes recherches auraient été emportées au cœur d’un rêve. De quoi se noyer dans l’océan qui roule sous vos paupières ! Si je vous avais connue avec quelques années de moins… Malheureusement, il faut aussi que j’avale des cachets quotidiennement, j’ai aussi des problèmes de thyroïde depuis que le nuage de Tchernobyl n’est pas passé sur la France !

-Votre problème majeur, n’est-ce pas simplement la solitude ? Comment pouvez-vous vivre ainsi sans dialogue, sans ami…

-Je parle à ma pauvre femme disparue depuis longtemps, je lui confie mes échecs et mes souffrances…

-Et elle vous répond ?»

Il frotte sa paupière avec son doigt sans répondre.

 

Elle lui parle de son grand-père, plus vieux que lui, qui a rencontré une compagne au moment où on ne l'espérait vraiment plus. Elle désigne ensuite la montre qu'elle a trouvée dans son jardin, expliquant qu'elle appartenait justement à ce grand-père... Il a donc eu, à un certain moment, un rapport avec lui !

             Lui disant s’appeler Charles Malerby, il réplique que, s’il s'agit de l'homme auquel il pense, c’est un grand plaisir de savoir que l'expérience a bien réussi :

« -Si votre grand-père, grâce à moi, capte de nouveau le courant qui passe et relie deux êtres, l’un à l’autre, comme deux moules réciproques recueillant chacun les fleurs du vide de l’autre pour les écarteler et les transformer en bouquet d’étoiles, alors, je suis heureux ! Je lui ai redonné une raison de vivre que je n’ai plus, moi qui ne respire que par mes formules… Je me demande aujourd’hui comment j’ai pu me laisser ensorceler par cette sorcière infâme qui m’a privé de ce contact humain qui vaut bien mieux que l’électronique.

-Quelle sorcière ? Quelle expérience ?

-La solitude, vous l’avez dit tout à l’heure… »

Craignant de sortir du sujet, elle utilise le charme qui l’inspire et le questionne de nouveau sur l’expérience. Il dit qu'il ne peut pas répondre : c’est un secret ! Elle insiste appuyant la tête du vieil homme contre sa poitrine. Il résiste, d’abord, à l’interrogatoire qu’il semble avoir prévu depuis longtemps, mais, quand elle lui dit qu’elle connaît des gens qui pourraient l’aider à approfondir sa découverte, il hésite et lui confie qu’il a toujours été malheureux de n’avoir pu secourir sa propre grand-mère, une des premières victimes connues de cette maladie …

Bien sûr, par instants, la vieille femme ne le reconnaissait pas, elle vivait en pointillé et arrivait quelquefois, vers la fin, jusqu’à jeter des cris de bête ! Dans ses moments de lucidité, elle répétait sans cesse aux gens qu’elle ne connaissait pas ; « Si vous m’aviez connue avant ! »

Les médecins n’ont d’abord pas cru qu’elle était frappée par cette maladie, ils la classaient dans les sujets diabétiques que les complications de problèmes cardio-vasculaires amènent à la régression de certaines facultés cognitives. Ensuite, ils se sont montrés impuissants à la guérir et le mal a progressé en silence derrière son mutisme triste.

Un jour, elle a marché devant elle, sans but, sans s’arrêter ; consciente ou pas, on l’ignore ! On l’a retrouvée morte dans un ravin, le crâne fracassé… Elle avait écrit sur un papier qu’elle serrait entre ses doigts : «  Ma mémoire est partie, je n’ai pas pu la rejoindre…Vous souviendrez-vous de moi ? »

Alors, quand on l’a mis en retraite, l’ingénieur Malerby qui fabriquait des puces électroniques destinées à l’industrie, a décidé d’utiliser ses connaissances en ce sens, d’autant qu’il a senti sa propre mémoire flancher, oubliant ses rendez-vous ou égarant ses papiers; surmenage ? Il craint de devenir comme sa grand-mère.

Depuis un siècle que cette maladie est déclarée, les traitements proposés n’ont jamais guéri personne ! Il a donc mis au point sa propre stratégie de stimulation cognitive par un système miniature, implantée dans un fragment de silicium, qui retarde la perte d’autonomie et éventuellement la crise suicidaire. Dans cette station-service abandonnée qu’il a rachetée, il a installé un laboratoire secret dans la cave dont l’entrée est dissimulée dans le garage attenant au hall de l’appartement. Il a voulu se battre à sa façon contre cette ombre ravageuse qui déploie sur les malades une aile de mystère, en procurant une mémoire différente, mécanique mais salvatrice, qui fait de ces vieux de grands enfants heureux de vivre encore. Il a travaillé des années afin de trouver la matière inusable qui ne soit pas rejetée par les tissus humains lors de la greffe de son implant avec l’aide d’un vieux chirurgien en retraite. Certes, il a d’abord expérimenté sur un animal. Vu que l’expérience était concluante, lorsqu’il a aperçu la petite vieille, seule, tremblante, au bord de la falaise, il l’a ramenée chez lui gentiment ; il a essayé sur elle le programme. L’évolution paraissant satisfaisante, une fois la cicatrice physique refermée, il l'a relâchée dans la nature. Il a recommencé, à l'exemple du premier résultat positif, sur un homme qui devait sans doute être son grand-père… Ils sont maintenant deux à pouvoir survivre à cette maladie sans encore souffrir ou en prendre complètement conscience. Il faudrait quelqu’un pour effectuer la greffe sur lui, en lui reprogrammant tout ce qu’il a noté. Sa puce est prête, il a prévu cette possibilité mais il ne peut faire l’opération lui-même ! Il a nettement vieilli, il a maintenant dépassé les soixante-dix ans.

La jeune femme reste longtemps auprès de lui pensant qu’elle lui doit bien cela, ne serait-ce que pour son grand-père ! Du reste, peu d’homme lui ont adressé le même hommage respectueux la comparant à une jolie princesse. Elle aussi vit seule. Dommage, effectivement qu’il ne soit plus jeune…

Au moment du départ, elle constate que le ciel est zébré d’éclairs ; un orage provençal typique déchaîné autant qu’inattendu déchire la tombée de la nuit. Malerby murmure : « Il ne pleut pas souvent ici mais quand il pleut, ce n’est pas pour rire ! »

Elle pense qu’après tout, il serait mieux d’attendre le jour pour repartir.

Le « vieux » a bien mérité qu’on le dorlote un peu.

Lorsqu’elle le quitte, le lendemain matin, il paraît aller beaucoup mieux. La jeune femme lui promet de revenir avec des personnes compétentes qu’elle connaît. Ils l’aideront dans l’intérêt de la science ! Malerby suit des yeux la silhouette qui se déhanche sur ses talons pour sortir de son horizon.

« Qu’ai-je fait de ma vie ? Marmonne-t-il, je suis vieux, trop vieux !

En rentrant, de nouveau seul dans ce bâtiment, il s’arrête devant son miroir et observe, une perle à sa paupière, son double menton et ses joues glissant vers ses mâchoires édentées.

 

            Quelques jours plus tard, Véro revient effectivement avec trois hommes en costume et lunettes portant chacun une grosse mallette. Ils arrêtent les voitures qui les transportent sur le sommet de la colline qui domine le village car la jeune femme a cru voir Malerby au bord de la falaise. Il s'agit bien de lui, en effet. Il paraît regarder le paysage, extasié sur le dessin formé par l’enchevêtrement des toitures s’étalant au-dessous de lui, comme s’il ne l’avait jamais vu auparavant …

Elle l’interpelle ! Il se retourne vers elle et la regarde en tremblant, des chapelets de perles prêtes à éclore au fond des yeux. Elle lui dit qu’elle a trouvé l’aide voulue ! Il la regarde en plissant son front :

«-Je vous connais ? Impossible ; si je connaissais… une telle femme, je ne l’aurais pas oubliée… Que ferait seul au bord du vide, un homme qui vous aimerait ?

–Mais je vous ai rencontré ici même. Rappelez-vous mon grand-père !

-S’il vit près de vous, ce doit être un homme heureux. »

Tous l’accompagnent gentiment sur le chemin conduisant à sa maison mais quand elle lui demande de leur montrer son laboratoire avec les schémas et les formules dont il lui a parlé, il regarde simplement ses mains qui tremblent… Un des hommes s’approche de lui et demande à son tour :

« Où se trouve votre labo, s’il vous plaît ? »

Il fronce les sourcils, remue la bouche en salivant sans sortir un seul mot, puis, au bout d’un moment, il regarde la jeune femme et prononce enfin avec l’air de s’excuser :

« J’ai… oublié : je ne me souviens de rien ! »

Cette nouvelle en version longue fait partie du recueil: Des nouvelles de Provence, Danyel Camoin, éditions Bénévent 2008

¨ D’après la nouvelle premier prix de la lyre d’Allauch 2007

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