Béatrice FINZI , venue de Quimper, Bénédicte MITRANO, Amélie DIAZ, Christian TRINGA...
Nos auteurs à l'honneur 2019. Les coups de cœur du président.
10 auteurs de plus, lauréats cette année, parmi eux plus remarqués par le président :
Bénédicte MITRANO, mots pour maux, qui fêtait en même temps son anniversaire, en gagnant le livre mis en loterie par Provence-poésie.
Amélie DIAZ, lauréate de dix-sept ans. à découvrir avec : Le trou noir.
Christian TRINGA, la scoumoune, également partenaire du spectacle avec sa marionnette.
Béatrice FINZI, en direct de Quimper pour L'inconnu, particulièrement remarquée.
Parmi tous les lauréats passés sur la scénette de Provence-poésie, depuis la journée dédiée à Maupassant, en 2011, on n'a pas souvent rencontré le dynamisme et le charme de Béatrice, son sourire chaleureux et sa facilité à aider l'association. Ainsi l'auteur(e) de L'inconnu, venue de Quimper, est une lauréate exceptionnelle dont l'écriture, hommage à Maupassant, ne pouvait que plaire à l'auteur de Au seuil de l'inexplicable et des Evadés du rêve, entre Kafka et Maupassant.
Pour notre président, l'inconnu ne pouvait que figurer parmi les dix nouvelles sélectionnées, pour le lire voir le recueil "Laissez venir les mots", mais Béatrice avait aussi écrit une autre nouvelle qui a été classée dans les proches de la sélection : Le livre du Diable, avec son accord, amateurs de fantastique, nous vous proposons de la lire gratuitement sur cette page :
LE LIVRE DU DIABLE
Julien Masconi était magistrat comme son père, Albert, mort prématurément d’une tuberculose deux ans auparavant. Julien était un homme droit. Il aimait son métier et le pratiquait avec conviction. Je suis avocat et nous sommes devenus amis lors d’une affaire qui nous opposait. Un peu austère mais juste, il était toujours respecté pour ses jugements. C’est pourquoi, souvent, lorsque nous évoquions des dossiers qui me préoccupaient, son avis m’était toujours très précieux.
Célibataire, il partait chaque été en Provence, à Nans-Les-Pins, dans la pension de mademoiselle Fortunée, vieille fille avec qui il s’entendait parfaitement. Il vouait une véritable passion à la faune et à la flore de la forêt de la Sainte Baume. Son plus grand plaisir était de faire de longues promenades pendant lesquelles il notait soigneusement sur un petit carnet tout ce qu’il observait. Il aimait marcher des heures dans les sous-bois, suivre la course du lierre sur le sol et écouter le chant des oiseaux. Quand il me parlait de ses vacances, ce n’était plus le juge un peu sévère qui s’exprimait mais un amoureux de la nature, sensible et ouvert.
Un jour, alors qu’il était parti depuis peu, il m’envoya une lettre qui m’exposait ses tracas :
« ...L’autre jour il m’est arrivé une mésaventure terrible qu’il faut que je te raconte et à cause de laquelle je me trouve encore aujourd’hui bouleversé et intrigué au plus haut point.
Un après-midi, je m’étais éloigné du chemin par je ne sais quel hasard. Après avoir marché longtemps, il me fut aisé de constater que j'étais perdu. Le sentier ne ressemblait en rien à celui que je fréquentais. J’avançais avec grande difficulté à travers les branchages qui me griffaient. Enfin j’aperçus une vieille maison abandonnée. Les deux fenêtres sur le devant croulaient sous les racines et les lianes emmêlées. Quand j’entrai, je découvris un endroit pauvrement meublé. Une table, trois chaises, un lit et un petit vaisselier habitaient la pièce. Le silence était impressionnant et j’eu le sentiment d’être un intrus dans ce lieu sombre et humide. Les étagères sur le mur étaient couvertes de livres anciens. Tu connais mon intérêt pour les ouvrages d’art et je n’ai pas pu m’empêcher d’en saisir un. J’y ai lu avec effroi le titre suivant : « Julien Masconi 14/3/1831 - 30/10/1886 ». Je suis sûr que tu ris déjà de moi et que tu penses à une plaisanterie. Mais je te jure que c’est la pure vérité. J’ai bien cru que le soleil avait frappé trop fort mon crâne et que j’étais en train de délirer. Lorsque j’essayai de l’ouvrir, celui-ci s’effrita et tomba instantanément en poussière. Imagine-toi la terreur dans laquelle je me trouvais. Un livre avec la date de ma mort ? Mais comment était-ce possible ?
Je suis sorti de la maison et j’ai couru à travers le bois sans savoir où j’allais. J’ai couru encore pendant longtemps et finalement, je me suis évanoui.
Un paysan m’a trouvé sur le bord de la route, à plus d’une lieue de la forêt et m’a recueilli. Le lendemain, il m’a ramené à la pension où j’ai gardé la chambre plusieurs jours. Mademoiselle Fortunée qui m’a veillé, m’a dit que j’avais beaucoup déliré.
Voilà toute l’histoire mon bon Philippe. Tu vas sans doute me prendre pour un fou, mais je t’affirme que je n’ai pas rêvé et que je possède toutes mes facultés... »
Cette lettre m’a un peu étonnée car je savais combien Julien était un homme rigoureux. Il n’était pas influençable et son esprit était très éloigné des sciences occultes et doctrines ésotériques.
Je reçu peu de temps après une autre lettre qui m’inquiéta davantage :
« ...Je n’ai parlé à personne de cette mésaventure. Mais je me suis tout de même demandé si je n’avais pas rêvé. Malgré mon peu de goût pour les choses mystérieuses, tu me connais, et malgré la frayeur qui me prit ce jour-là, je décidais de continuer mon séjour. J’essayais de ne plus penser à ce maudit livre qui avait brouillé ma raison.
Pourtant un matin, je mis le manteau que je portais le fameux jour et tu n’imagineras jamais ce que je trouvais dans la poche ? Un morceau du livre ! Je ne sais pas, grand Dieu, comment il est arrivé là, mais c’est un fait. Une partie de mon nom s’y trouvait ainsi que la date fatidique.
Ne voulant pas me laisser emporter par je ne sais quel trouble et résolu à élucider cette affaire, j’ai décidé de retrouver cette maudite maison, coûte que coûte. J’ai cherché plusieurs jours durant, en vain.
Mademoiselle Fortunée m’a conseillé d’aller voir l’antiquaire du village qui est, paraît-il, un grand érudit. Cet homme m’a appris qu’un forgeron avait bien habité une maison dans les bois. Mais il n’en savait pas vraiment plus. C’était au moins il y a vingt ans.
Tu vois, je n’ai pas rêvé la maison, au moins !
J’ai décidé de raconter mon aventure à cet homme qui a ri de bon cœur en croyant à une facétie. Pour preuve, j’ai voulu lui montrer le morceau du livre que j’avais trouvé, mais celui-ci a disparu.
Tout cela m’a fortement contrarié. Je me demande ce qui m’arrive. Si j’ai bien vu la maison, ai-je imaginé le livre ? Je ne sais plus trop où j’en suis et, parfois, j’ai l’impression que ma raison vacille. Cela a gâché grandement mes vacances et je rentre plus tôt à Paris. Si tu es là, j’aimerais que nous passions quelques moments ensemble. Cela me sortira d’une certaine neurasthénie dans laquelle tout cela m’a jeté... »
J’étais inquiet mais je connaissais son caractère assez fort et j’étais persuadé que tout rentrerait dans l’ordre dès son retour. En effet, pendant un temps, les affaires reprirent et Julien retrouva son calme. Nous nous rencontrions souvent lors des audiences et fréquentions les mêmes soirées.
Tout bascula vers la fin septembre alors qu’il arpenta les quais à la recherche de vieilleries. Il entra dans une boutique, regarda les bibelots mais rien ne l’intéressait vraiment. Ses yeux se promenèrent sur une rangée de livres anciens et il s’approcha.
Horreur ! Le livre tant redouté était là, devant lui, avec son nom et la date fatidique. Il n’osa pas le toucher. Le cauchemar recommençait. Pris de panique, il s’enfuit.
Au Palais, je le trouvais dans un état de fébrilité totale. Il me raconta ce qui venait de se produire et m’obligea à l’accompagner à la boutique. En entrant, il se précipita sur les livres comme un fou mais aucun ne correspondait à celui qu’il cherchait. Le commerçant, derrière ses grosses lunettes, le regardait curieusement. Julien l’attrapa par le cou en lui criant de lui donner le livre. L’homme se défendit, cria au fou et jura qu’il n’avait jamais eu un tel ouvrage. J’entrepris de calmer Julien et prodiguais mille excuses à ce pauvre homme qui n’y comprenait rien.
Julien croyait perdre la raison. Je n’arrivais pas à le convaincre qu’il avait dû se tromper, qu’il était surmené. Rien ne put le réconforter. Il me planta là et rentra directement chez lui.
J’appris par Joseph, son valet de pied, ce qui allait suivre.
Hanter par le livre et sa date funeste, il décida de s’enfermer chez lui. Il avait demandé à Joseph de ne le quitter sous aucun prétexte. Pendant une quinzaine de jours environ, il continua de traiter ses affaires mais n’assista plus aux audiences et dénonça toutes les invitations qu’il reçut. Quelques jours passèrent mais son angoisse ne fit que décupler. Il refusa toutes les visites et ne traita plus aucun dossier. Restaient quinze jours puis dix. Il devint exécrable, s’offusquant d’un rien, traitant son valet comme un chien et finit par le renvoyer. Celui-ci comprit dans quels tourments était son maître et se cacha dans la pièce attenante à la chambre de Julien. Grâce à un petit trou dans la cloison, il pouvait surveiller la situation et intervenir s’il se passait quelque chose de grave.
Il me raconta plus tard qu’il ne reconnut pas l’homme qu’il avait servi pendant plus de dix ans. Julien tournait en rond des journées entières et se perdait dans de longs monologues incompréhensibles. Je reçus une dernière lettre de lui quelques jours avant le trente octobre. Voici ce qu’il écrivait :
« ...La nuit, je vois des visages déformés par des rictus effroyables. J’entends une voix profonde qui me dit :
- Ta mort est écrite dans le livre du diable. Je suis l’âme du forgeron. Vengeance, mon heure est venue…
Dans le demi-sommeil où je me trouve, je réponds que je ne comprends rien. De quelle vengeance s’agit-il ? Et en quoi tout cela me concerne-t-il ? Je ne sais plus ce qui m’arrive. J’aimerais que ce ne soit qu’un mauvais rêve. Ces phrases lugubres me poursuivent toute la journée. C’est comme un écho dans mes ténèbres. Parfois je me dis que je sombre dans la folie et je me demande ce qui a provoqué un tel trouble de mes facultés. Comme j’aimerais que tout cela soit fini... »
Ce jour-là, il décida de rester au lit. Il grommelait sans cesse. Ainsi, tout le jour, il attendit, fixant intensément la pendule au-dessus de la commode, regardant le déplacement des aiguilles, éprouvant la lenteur des heures. Parfois, il sombrait dans un sommeil cauchemardesque. A certains moments, Joseph l’entendait crier : « Non ! Assez ! Partez ! Laissez-moi tranquille ! »
À mesure que le temps avançait, son esprit devenait de plus en plus agité. Puis, il se mit à rire, se moqua de lui et de sa peur. Et si tout cela n’était qu’un mauvais rêve dont il allait se réveiller. De nouveau, il se mit à rire nerveusement.
Des heures s’étaient écoulées…. Il regarda la pendule. Plus que quelques minutes et son supplice prendrait fin. Il rirait encore de sa sottise. Il rirait d’avoir cru à cette prédiction, à ce maudit livre qui n’avait jamais dû exister. Il ne quittait pas des yeux la pendule et scrutait chaque seconde. Puis, comme grisé par une étrange ivresse, il se leva, sauta, dansa et tournoya sur le sol. Son excitation redoubla. Comment avait-il pu penser que tout ceci était vrai, lui, un juge respecté de tous ?
Il regarda la pendule et se sentit libre. Il rit de sa méprise, de sa bêtise, de son ignorance. Et ses jambes furent folles et ses mains applaudirent. Il continua de danser jusqu’à s’en étourdir. Il applaudit encore et encore, poussant des cris de joie et de victoire.
Soudain, il sentit une douleur profonde dans son cœur. Un éclair le déchira. Il ne comprit pas tout de suite ce qui se passait. Ses jambes tremblèrent, ses bras devinrent lourds. Il ne trouva plus son équilibre et tituba. Son corps chancela. Ses yeux écarquillés montrèrent une lueur d’incompréhension. Puis son visage se crispa sous la douleur. Julien regarda la pendule une dernière fois. Il voulut se rattraper au lit mais son corps l’abandonna et il tomba mort sur le sol alors que les douze coups de minuit résonnaient.
Le trente octobre de l’année 1886 venait de s’achever.
Je dois vous dire que je fus choqué et profondément bouleversé. Julien avait dû connaître d’effroyables moments.
Suffisamment intrigué par cette histoire, je décidais d’enquêter auprès du tribunal de Roquevaire qui traitait les affaires des communes environnantes de Nans-Les-Pins. Quelle ne fut pas ma stupeur en apprenant qu’un magistrat du nom d’Albert Masconi avait bien jugé une dizaine d’affaires en 1860, lors d’une nomination temporaire et qu’il avait condamné injustement un pauvre forgeron qui habitait dans la forêt de la Sainte Baume.
Béatrice FINZI
Article FZ
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