Devant le succés de Frank Zorra avec son livre : Je suis né à Marseille, le détective marseillais continue à suivre le parfum des dames...
Pp a décidé de retenir celui-ci pour la journée de la nouvelle après le désistement d'un des auteurs invités :
Il y présentera donc exceptionnelement son livre édité par Baudelaire et disponible dans toutes les librairies sur commande (voir l'étoile bleue sur Aubagne ou la Fnac à La Valentine).
Frank Zorra avait squatté une place à Danyel Camoin en Novembre pour dédicacer plusieurs exemplaire aux marseillais au carré des écrivains.
L'an prochain, il y sera peut-être à place entière et qui sait ? Peut-être le verrons-nous à Fuveau aux écrivains en Provence, si l'éditeur veut bien adresser un exemplaire du livre aux écrivains en Provence avant qu'il ne soit trop tard.
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Enquête ou nouvelle ?
Peut-être nouvelle enquête ?
Non, elle est déjà connue des fans de Frank mais on en remet une couche pour la nouvelle année : ce n'est donc pas une nouvelle nouvelle mais la nouvelle de la nouvelle année...
Excusez-moi mais c'est une bonne nouvelle...
car cette enquête a inspiré une nouvelle qui, sur le même thème du solitaire, a été incorporée dans
Les fleurs du vide, le livre qui a gagné le prix d'honneur de l'Académie de Provence en 2009 et une autre qui devrait être insérée dans : Au delà du seuil (parution en 2012) ma troisième collaboration avec l'auteur de "Au seuil de l'Inexplicable" dont on reprend les finesses en poussant plus loin.
Bonne journée à tous ceux qui sont seuls !
La morte de la Corniche. Parfum de rose flétrie à peine éclose arrosée au sel marin
Marseille 1995. La mer scintille dessous les ponts et secoue les barques des pescadou. C’est là que je dévorais une bouillabaisse chez « Fonfon » quand j’avais résolu la dernière énigme difficile mais, suivant ses moyens, on peut aussi s’empiffrer de pizza au Vallon des Auffes, tè, vous n’avez qu’à demander à Max !
Max, mon ancien assistant, cent-vingt kilos et deux pizzas arméniennes dans une flûte de pain en attendant le dessert : un homme de poids !
Après la sortie, on vire à gauche. Orientation ? Plage Prado. Statue de David toujours nue. Un piano-bar sur la corniche égraine un chapelet de notes qui brament sur les malheurs des clients et un cabaret, tout près dans l’avenue, où des cagoles grimées en petits lapins présentent deux "obus de chair" en évidence dans des petits filets de pêche transparents, presque sur un plateau, mais n’y croyez-pas, fatche d'ail, c’est un appât optique ; dans leurs têtes règnent encore les cacous charmants. Là-bas, c’est le plaisir de l’œil…
L’horreur, c’est un peu plus loin dans la portion des plages préfabriquées en face du casino, où je venais quelquefois pour rêver, les yeux surfant sur les vagues.
Allongée au bord du sable derrière les buissons, les éboueurs remplissant les bennes urbaines ont découvert au petit matin une morte quasiment nue avec un mec en costard tout neuf accroché à elle comme une arapède et, un peu plus loin, près de la route, un jeune au type étranger, très peu vêtu, le crâne fracassé. Un simple fait divers me direz-vous. Pensons à la famille…
Le père de la jeune morte, un honnête pharmacien des environs, ne voulant pas ébruiter ce qui était arrivé à sa minotte, me demanda de mener une enquête discrète et grâce à mon "nez" célèbre jusqu’en Lozère, qui m’a pourtant souvent joué des tours en se fourrant partout, je réussissais à réunir quelques témoignages et, peu de temps après, à reconstituer la soirée précédente…
Voilà comment je rédigeai mon rapport à la manière poétique de mon ami Danyel Camoin, quoi que cette affaire ne soit pas du tout de la poésie.
Une trompette roucoule un fond de Rio Bravo, un homme en costume fringant assis sur un tabouret, accoudé au comptoir, s'imagine marchant sur un nuage vers une jolie blonde au pas d'un héros.
Sur un coin de piste à peine éclairée, un couple accompagne le rythme par quelques pas à deux tournant lentement. L'éclairage gicle sur un prisme qui renvoie en rotation des flammèches d’arc en ciel sur les badauds aux yeux cernés en dessinant des barres de couleur sombre sur le plafond blanc.
L'homme seul tourne les yeux vers son verre. Il y observe le rêve de sa vie qui ne vit que la nuit quand le manteau de celle-ci cache tous les défauts. Des volutes de fumée colorisées créent des nuages impalpables d'espérance bafouée autour de lui.
Dans le clair-obscur, des lèvres inconnues se rejoignent jusqu'à perdre leur rouge maquillage et des mains moites osent parcourir discrètement des parcelles de peau transpirante de désir. Des complexes se dénouent dans la pénombre et émettent d'imperceptibles gémissements dont la sonorité est écrasée par celle des haut-parleurs.
Les touches d'un piano clignent de l’œil à la trompette pour l'entraîner sur un air plus soutenu et ce sont maintenant des doigts agiles qui dansent sur elles pour rappeler le couple de danseurs disparus. « Cendrillon » a laissé une chaussure dans ce bal de quatre sous mais ce n'est pas un prince qui emporte la dame dans l'ombre. Il ne va pas la couvrir de bijoux froids mais de baisers chauds et, au lieu d'une belle robe, il lui offrira de boire à la source de la vie. Presque inconsciemment, l'homme au bar cherche des yeux la fille disparue..
La pendule égrène quelques sauts d'aiguille que saisit prestement le mange-minutes toujours affamé. La longueur de la nuit s'étiole sur la paupière d'un jour nouveau encore un peu fermée. Le rêveur saute de son tabouret, abandonnant un verre aux trois quarts vide, pour avancer vers la piste à l’arrondi incertain. Il évolue comme un nuage. Il se déplace, enveloppé d'une auréole odorante de fumée de cigarette consumée. Il courbe sa silhouette et froisse son costume chic sur la piste désertée où les ombres jouent avec la lumière. Il se baisse et ramasse la chaussure unique et désespérée noyée dans le vide. Maintenant, il la tient dans sa main, la caresse comme un animal blessé qu'il va conduire vers celle qui la portait. Peut-être pourra-t-il échanger quelques mots au bord du vide. Il glisse quelques pas lents dans la pénombre et découvre des ombres qui s'étreignent dans un bouquet de soupirs... Il en déduit qu'elle est trop occupée pour l'instant et n'a que faire de sa chaussure. Peut-être même qu'elle a ôté l'autre...
Il tourne autour de la piste, un peu désarçonné dans son élan de communication. Il retourne dépité vers le bar, l’escarpin planté dans la poche basse de sa veste. Un autre verre... Il y noiera ses larmes invisibles ! Satanée sorcière ! Elle est là, toujours près de lui, tenace. Elle s'acharne à faire le vide autour de lui ; il se sent à la limite de l'étouffement. Elle l’enveloppe toujours à l'instar d’un boa qui voudrait écraser sa proie pour ensuite l’avaler, affreuse solitude ! Autant noyer sa peine…
Un regard brillant, libidineux, braqué sur la « barmaid topless », il agite un gros billet de banque comme une arme discrète et convaincante mais la jeune femme lui réplique qu’elle n’est pas entraîneuse, ce n’est pas une maison close mais un cabaret ! Juste le temps de respirer sur sa poitrine brune un « concerto » de Fragonard…
Et voilà, même l’argent reste impuissant devant la sorcière. Il demeure apparemment seul dans son enveloppe de vide.
Il remarque un autre couple qui était resté là, près du bar. Eux aussi font un tour sur la piste mais la musique a changé. Elle est saccadée. Elle remue leur corps sur un rythme endiablé, peuplé de gestes divers, puis elle cesse. Les voilà qui reviennent. Ils parlent un instant... Le jeune homme au teint bazané entraîne la petite blonde vers la porte. Elle l'accompagne docilement. pourquoi lui ?
Presque inconsciemment, le solitaire suit les deux corps enlacés. Il quitte les lieux. Après la porte battante, il sent la fraîcheur matinale de la rue le gifler. Il remonte son col, secoue son veston et plonge sa main droite dans une poche, il en sort un petit paquet d'où il tire une cigarette qu'il va allumer à la barbe du matin.
Les mains dans les poches, il déploie ses grandes jambes sur le trottoir derrière eux. Ses pas résonnent sur le béton. Ils ont quitté la rue. Ils ont glissé dans les frondaisons. De l'autre côté de la rue en bas du trottoir un fossé borde la plage derrière une haie de buissons.
On fait tous le même rêve : un instant d'amour, de déraison. Et lui, le solitaire, même hors du cabaret, même loin de la trompette, il entend de nouveau Rio Bravo. Il ne sait même pas pourquoi il les a suivis jusque-là... Pour les regarder sans doute ! Pour ne plus être isolé, pour voir l'amour au petit jour... Mais l’autre mâle ne tient pas à ce qu’on le regarde pendant qu'il « pénètre les replis » du bonheur. Il se lève à moitié nu et saisit une pierre sur le sol avec laquelle il menace. L’étrange personnage ne s'en va pas pour autant. Et la pierre s’envole vers lui pour l’inciter à fuir. Il esquive.
Les mains du voyeur se crispent alors sur cette pierre jusqu'à la soulever du sol et la renvoyer vers celui qui l'a propulsée jusqu'à lui. Il vise mieux car le projectile heurte le crâne du jeune gars qui voulait honorer sa dulcinée en paix. Ce dernier tombe après avoir chancelé longuement. Voilà, il a chu tel un oiseau atteint par le chasseur mais la véritable proie reste là, toute tremblante, exposée maintenant hors de ses bras protecteurs. L'agresseur occasionnel sorti de l'ombre semble prêt à remplacer l'amant.
Elle ne paraît pas apprécier l'échange, son cri effraie les premiers oiseaux de passage en déchirant le cœur de l'aube. L'homme sent sa main s'appuyer fortement sur sa bouche... pour la faire taire uniquement. Il ne veut pas lui faire du mal mais il ne voudrait plus qu'elle crie. Il voulait simplement regarder mais l'autre ne l’a pas laissé faire. Pendant qu'il retient les sanglots dans la bouche fermée, il lui couvre le cou et la poitrine de baisers. Lui aussi voudrait pouvoir l'aimer, découvrir ce monde intérieur tout chaud et accueillant qui conduit par magie jusqu'aux portes du paradis sans se déplacer. Mais elle est là... La sorcière ! Elle le tient et ne veut pas le lâcher. c'est elle qui appuie sur sa main et il la sent forcer malgré lui. Elle a guidé sa pierre, n'est-ce pas ? Et là... Non ! Pas cela !
Il relâche l'étreinte, libère la jolie petite bouche, mais celle-ci reste ouverte, inerte, figée dans un appel au secours sans voix. Elle ne bouge plus. Et l'autre main de l'homme ne perçoit plus de battement sous son sein rigide. La chaleur s'enfuit... Elle a cessé de vivre. C'est la sorcière... C'était elle ! Elle lui refuse le droit de la quitter, de pouvoir rencontrer quelqu'un d'autre, un instant d'amour, et le baiser tardif qu’il dépose sur les lèvres froides ne la réveillera plus...
L'invisible s'efface maintenant, le laissant découvrir seul le drame : le regard bleu figé, glacial, de cette princesse endormie.
Un peu plus tard, les éboueurs découvrent en remplissant leur benne, l'homme indissociable, collé au corps de la morte comme un naufragé à sa bouée. Ils préviennent la police...
Les gendarmes arrivés sur les lieux reconnaissent le fils d'un député très important dans la région. Ils le soulèvent rapidement et l'éloignent avec peine du corps auquel l'individu s'agrippe. Ils lui demandent ce qu’il s'est passé mais n'obtiennent aucun renseignement. Il ne sait pas répondre. Les yeux hagards, il entend une trompette qui s'étrangle pendant qu'elle joue le silence à la manière d’une sonnerie aux morts. On croirait un amnésique. Les gendarmes recouvrent le corps de la fille et du jeune gars au crâne fracassé avec une bâche.
Drame de la Solitude ? Qu'est-ce que je pouvais ajouter ? Peu importe...
Le lendemain, on lira dans les journaux que le fils d'un député bien connu a secouru une jeune fille de bonne famille de la ville attaquée sur la plage qu’un voyou inconnu venait d'étouffer. Il l’a alors assommé avec une pierre. La violence de l'acte l'ayant un peu choqué, il sera soigné pendant quelques jours à la clinique la plus proche avant de pouvoir rentrer chez lui. C’est la vérité pour tous. Faï tira !
Suivant que vous serez puissant ou misérable... Cela n'a pas changé depuis La Fontaine.
J’espère seulement qu’il n’y aura aucune récidive.
Cette nouvelle fait partie des dix-sept enquêtes de Frank publiées dans : "Je suis né à Marseille" éditions Baudelaire 2011. En vente à la Fnac.
Une autre enquête qui avait inspiré à Denise Biondo la nouvelle : l'enfant qu'on peignait en bleus, publiée lors d'un concours à Cassis, est également insérée dans ces pages, réadaptée par l'auteur.
Article Nicole Manday
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